Retour à “Description de la ville”

Organisation politique de la ville

Au Moyen Âge et encore à la Renaissance, les villes du royaume se définissent comme des « bonnes villes ». Elles possèdent une identité juridique qui leur confère des droits fiscaux, des droits militaires (milices) et des droits matériels (murailles), et elles reconnaissent l’autorité du roi.

Plan de Montpellier vers 1630
Plan de Montpellier vers 1630
BnF, Cartes et Plans, coll. Gaston d’Orléans, vol. 10, GE BB 246 (X), p. 152-153 (Source gallica.bnf.fr)

En échange de cette reconnaissance, le roi confirme leurs privilèges. Une cérémonie manifeste ce lien : l’entrée royale. Une entrée royale importante a eu lieu en 1622 à la suite du siège de Montpellier. Mais l’entrée de 1622 a changé le sens de cet événement. Réalisée à la suite du siège, elle marquait la domination complète du roi Louis XIII sur la ville.

En savoir plus  :
Consultez notre dossier « 1622, Montpellier assiégé »

Plus généralement, aux XVIIe et XVIIIe siècles, le renforcement de l’État monarchique modifie le fonctionnement institutionnel et politique de la ville de Montpellier, qui dépend de plus en plus de l’intendant.

Le contrôle par l’État monarchique et la concurrence des seigneurs

Le principal officier du roi dans la province de Languedoc est l’intendant de police, justice et finances. Doté de pouvoirs régaliens, il administre la province depuis Montpellier. Il s’informe et agit par l’intermédiaire de subdélégués. Mais au total, le personnel de l’intendant se réduit à quelques personnes qui travaillent à l’Hôtel de l’Intendance, qui est récupéré en 1790 pour héberger les administrations départementales.

Hôtel de l'Intendance, élévation du pont de communication
Hôtel de l’Intendance, élévation du pont de communication
s.d. [XVIIIe s.]
Archives de Montpellier, II 780

L’intendant contrôle la quasi-totalité des actes de la Ville de Montpellier. Il autorise ou non toutes les dépenses, de la plus minuscule au plus somptueux projet d’aménagement.

Par ailleurs, la Ville est soumise en partie à l’autorité du Parlement de Toulouse. Cour de justice royale et souveraine, le Parlement possède également un pouvoir de « grande police », et peut pour cette raison autoriser ou non les règlements du Bureau de police de la Ville.

Enfin, le territoire de Montpellier est divisé entre la ville et la Banlieue. Dans cette dernière, des seigneuries existent, et les seigneurs prétendent administrer et gouverner leur seigneurie en empêchant les empiètements des autorités urbaines. C’est le cas de la seigneurie de Boutonnet, au nord de la ville, dont la possession implique le droit de police sur le territoire.

Dans les faits, des périodes d’entente alternent avec des périodes de conflictualité. De manière générale, le Parlement soutient les prétentions des seigneurs féodaux contre la Ville, alors que l’intendant travaille plutôt en bonne intelligence avec les consuls et les maires, hormis pendant le mayorat de Cambacérès, qui s’oppose frontalement à l’intendant Saint-Priest.

Plan de l'Hôtel de l'Intendance en 1790 par Donnat
Plan de l’Hôtel de l’Intendance en 1790 par Donnat
Archives de Montpellier, 2 Fi 109
Plan de Montpellier dit Flandio de la Combe de 1788 entièrement remanié en 1816, detail de l'Hôtel de l'Intendance
Plan de Montpellier dit Flandio de la Combe de 1788 entièrement remanié en 1816, detail de l’Hôtel de l’Intendance
Archives de Montpellier, 2 Fi 498
Plan du faubourg de Villefranche, de la porte du Pila-Saint-Gély à Boutonnet
Plan du faubourg de Villefranche, de la porte du Pila-Saint-Gély à Boutonnet
s.d. [XVIIIe s.]
Archives de Montpellier, II 319

L’organisation institutionnelle de la ville

La ville est dirigée par six consuls qui sont l’émanation, pour chacun d’entre eux, d’une « échelle » de citoyens.

Les « échelles du consulat »
Rang État des individus ou profession
1er consul Noble
2e consul Bourgeois vivement noblement
3e consul Homme de loi
4e consul Marchand, chirurgien, apothicaire, commis de bureau
5e consul Orfèvre, perruquier, liquoriste, tapissier ou membre d’un « métier honnête »
6e consul Maître artisan

La fonction des consuls est à la fois représentative (ils sont élus au mois de mars) et administrative (ils doivent administrer la cité entendue comme une communauté). Leur élection obéit à un cérémonial public qui se déroule à l’Hôtel de Ville et se donne à voir ensuite dans les rues.

  • Nomination et installation des consuls de l'année 1733
    Nomination et installation des consuls de l’année 1733
    Cérémonial des Consuls (1714-1737)
    Archives de Montpellier, BB 202, p. 275-278

Le 1er mars 1733 sur les huit heures du matin, M. les consuls et greffiers se sont assemblés dans l’hotel de ville, et après avoir ouy la messe dans la chapelle, sont montés a la grand salle, et suivant l’usage, en presence d’un grand nombre des habittans ont procedé a l’election de M. les ellecteurs et consuls, ayant rencontré pour electeurs M. de Nigry fils, Ugla bourgeois, Ricard notaire, Deydier maître chirurgien, Laborie tapissier, Charrolois aussy tapissier, et Irles tailleur, lesquels a l’instant de leur nomination ont eté avertis par les escudiers et par le son de la cloche de l’hotel de ville et du grand orloge, et s’estant rendus dans l’hotel de ville après avoir preté serment entre les mains des dits sieurs consuls, et veu la liste des personnes proposées pour le consulat, ils l’ont signée et remise cachettée a M. le premier consul, laquelle liste ayant eté lüe en public, par le ballottement, il a rencontré pour consul noble Joseph Dominique de Pelissier de Boirargues, sieurs Leonnard Honnoré Baude bourgeois, Guillaume Gautier bourgeois, Pierre Chabanety orphevre, Jean Louis Laget maitre perruquier, et Antoine Corniere dit Castries maitre cordonnier, qui ont eté avertis a l’instant de leur nomination par les escudiers, et sons des cloches, suivant l’usage.

Après la nomination, M. les consuls en chaperon avec le greffier et les petits enfans ont eté visitter M. les consuls nouvellement elus.

Et de suitte, les dits sieurs consuls nouvellement elus ont visitté M. les consuls et greffier, M. de la Fare commandant en chef dans la province, M. l’eveque de Montpelier, M. le premier president, M. le juge mage, M. le lieutenant de roy, M. d’Almeras doyen des tresoriers de France, M. Joubert avocat du roy, M. Rolland procureur du roy.

Le 3 dudit mois de mars, la liste des sieurs consuls nouvellement elus a esté remise a M. les gens du roy par le greffier.

Le 16 dudit, M. les consuls et greffier en robbe ont esté a l’audiance de la Cour des aydes assister a la publication d’une declaration du Roy concernant les contrebandiers ayant eté pris la veille de la part de la cour par le premier huissier.

Le 17 dudit, M. les consuls nouvellement elus ont preté serment entre les mains de M. les consuls, etant en robe, ayant eté fait lecture par le greffier du reglement des depenses ordinaires.

Le 25 mars 1733, feste de l’annonciation de la Vierge, M. les consuls ont eté installés en la forme ordinaire, ayant preté serment dans l’eglise Notre Dame des Tables entre les mains de M. de Massillian juge mage, leurs mains mises sur le Petit Talamus, lecture du serment ayant eté faiite par le greffier, y assistant M. Bousseyrolle avocat faisant la fonction de procureur du roy, et apres ledit serment preté M. les consuls se sont rendus dans l’hotel de ville ou ils ont eté complimentés par M. Chretien avocat, orateur de la ville la presente année. Après quoy ont receu le serment des capitaine[s] du guet et de santé, des extimeurs jurés, gardes terres et de la suitte consulaire. Ensuitte ont fait les visittes accoutumées a l’eglise St pierre, a l’hopital St Eloy, a M. de la Fare commandant, M. l’intandant absent, M. l’eveque de Montpellier absent, M. le juge mage, M. le premier president absent, M. de la Rochette lieutenant de roy.

Les consuls sont épaulés par un Conseil de Ville qui réunit vingt-quatre principaux habitants, d’où son nom de Conseil des Vingt-Quatre. Occasionnellement, un « Conseil élargi » peut être convoqué pour les affaires les plus importantes. Il englobe les « notables », c’est-à-dire les principaux habitants qui ont une capacité politique dans la société inégalitaire du temps.

Dans la réalité, ce schéma est altéré pour plusieurs raisons.

Les créations d’offices par la monarchie

Les offices sont des charges vénales que la monarchie vend, et qui confèrent des compétences dans des domaines variés. Par exemple, un office de maire est créé au XVIIe siècle. Il est supprimé en 1717, puis recréé par un édit en novembre 1733. Les créations d’offices visent à augmenter les revenus de l’État, en particulier pendant les guerres. La date de 1733 ne relève donc pas du hasard. Elle correspond au début de la guerre de Succession de Pologne (1733-1738), qui clôt une période d’accalmie depuis la guerre de Succession d’Espagne (achevée en 1713-1714).

Les créations d’offices ont des conséquences importantes au niveau local et urbain. Elles rebattent les cartes du jeu politique local, et suscitent souvent des oppositions.

Pour y faire face, la ville s’associe parfois à la province pour racheter les offices qui risquent d’amputer ses compétences. Dans le cas des maires et des consuls, des personnages assez riches mais pas toujours membres des élites locales peuvent profiter de la situation pour parvenir aux fonctions éminentes. Ce n’est d’ailleurs que le 8 décembre 1734 que le nouveau maire et son lieutenant de maire sont installés publiquement dans leurs fonctions.

  • Procès-verbal d'installation du maire, lieutenant du maire et consuls
    Procès-verbal d’installation du maire, lieutenant du maire et consuls
    Cérémonial des Consuls (1714-1737)
    Archives de Montpellier, BB 202, p. 312-320

L’an mil sept cens trente quatre et le huitieme jour du mois de decembre, heure de dix du matin, nous Leonard Honnoré Baude, bourgeois, Guilhaume Gautier, aussy bourgeois, Pierre Chabanety, orphevre, Jean Louis Laget, maitre perruquier, et Antoine Corniere, maitre cordonnier, consuls et viguiers de la ville de Montpellier, noble Joseph Dominique de Pelissier de Boirargues, premier consul de la dite ville absant, etant assemblés dans l’hotel de ville aux fins de proceder à l’installation de messire Louis de Manse, chevalier, conseiller du roy, president, trezorier general de France au bureau des finances en la generalité de Montpellier, grand voyer, intendant des gabelles de Languedoc, en la charge de maire de la dite ville, noble Jean Dortaman, gentilhomme, en la charge de lieutenant de maire de la dite ville, M. Jean Ugla, bourgeois, en la charge de premier consul de la dite ville, et M. Jean Baptiste Astruc, maitre chirurgien, en celle de troisieme consul de la dite ville, et ce en consequence de la lettre de M. l’intendant a nous ecritte le jour d’hier ; et nous etants revettus de nos robbes avec M. Jean Cassagne, greffier de la dite ville, nous sommes mis en marche, precedés des tambours, trompettes, violons et hautbois, et au bruit de cette fanfare sommes allés a la maison de M. Dortaman scituée a la rue du Pas Etroit, ou etant entrés dans son appartemant avons trouvés M. Dortaman environné d’une quantité de personnes, et l’ayant approché, nous luy avons fait la reverance et temoigné la satisfaction que son installation fairoit au public, de quoy M. Dortaman nous auroit remercié et temoigné le desir qu’il avoit de donner tous ses soins pour le service du roy, du public et l’avantage des habitans en particulier, et a offert nous accompagner chez M. de Manse, maire, et s’estant revettu d’un habit noir, manteau court, rabat, plumes au chapeau et l’epée au costé, s’est mis a nôtre tête marchant le premier hors du rang du costé de nôtre main droite, et en cet ordre sommes allés, precedés de la même fanfare, a la maison de M. de Manse, scituée a la rue des Trezoriers de France, et M. Benezech, orateur de la ville, s’y estant trouvé, s’est mis au millieu de nousdits Baude et Gautier ; et de suite sommes montés a premier etage de laditte maison, et etant entrés dans une grande salle, nous y avons trouvé M. de Manse, maire, environné d’une grande foule de peuples de toutes qualités (MM. de la bource de s’y etant pas rendus quoy qu’ils eussent eté avertis et sommés la veille par M. Cassagne, greffier, de s’y rendre comme il avoit eté usé lors de la reception et installation a ladite charge de maire de maire de MM. de Belleval pere et fils), auquel avons fait la reverance et a icelluy temoigné la joye que son installation fairoit au public, et ensuite M. Dortaman, lieutenant de maire, s’etant mis du costé gauche de M. de Manse et sur la meme ligne, M. Benezech, avocat et orateur, a complimanté M. de Manse sur la dignité de ladite charge de maire, à quoy il a repondeu qu’il employeroit tous ses soins et donneroit toute son attention pour le service du roy et pour l’interest particulier des habitans de cette ville, et que puisque nous avons pris la peine de nous rendre chés luy, il s’alloit mettre à nôtre tète pour se rendre à la maison de ville aux fins d’etre procedé à son installation, et s’etant revettu d’une robbe de vellours cramoisin fourrée d’hermine, s’est mis le premier, faisant rang avec M. Dortaman, lieutenant de maire, et en cet ordre nous sommes rendus dans l’hotel de ville, suivis d’une grande foule de peuple, ou etant sommes entrés dans la salle du bureau de police (n’ayant peu monter a la grand salle a cauze qu’elle etoit garnie pour la tenue des prochains Etats, et que la foule du peuple auroit tout gatté), ou M. de Manse, maire, et M. Dortaman, lieutenant de maire, se sont placés sur deux fauteuils quy avoint eté à cet effet mis au bout de la table, et nous consuls nous sommes placés dans le banc quy est sur la main droite, et MM. Ugla et Astruc, premier et troisieme consuls nouveaux, s’etant randus en robbe dans ladite salle, se sont placés dans le banc qui est à main gauche ; ensuitte de quoy M. de Manse ayant dit en presence d’une grande quantité des personnes qu’ayant plû au roy de le commettre pour remplir la charge de maire de la ville de Montpellier, crée par edit du mois de novembre mil sept cens trente trois, et qu’en consequence il avoit le jour d’hier presté serment ez mains de M. de St Maurice, conseiller d’etat, intendant de cette province, ainsy qu’il resulte du verbail qui luy en a eté dellivré, et nous a requis vouloir proceder à son installation, nous remettant a cet effet la commission qui luy en a eté expediée et ledit verbail de serment, sur quoy nous consuls auparavant faire droit aux requisitions de M. de Manse, avons ordonné que par M. Jean Cassagne, greffier de la communauté, il sera tout presentement fait lecture de ladite commission et verbail. [...]

Et ce fait, nous dits consuls, faisant droit aux requisitions de M. de Manse, l’avons reçu et installé, recevons et installons en ladite charge de maire de la ville de Montpellier pour en jouir conformement et ainsi qu’il est porté par sa commission, et c’est par la tradition que nous avons faitte en ses mains de ladite commission, verbail de serment et de la baguette de viguier et pour l’avoir fait sieger à la chaise quy est au bout de la table, et en consequence ordonnons que ladite commission et verbail de serment seront registrés ez registres de la communauté pour y avoir recours quand besoin sera, ensuitte de quoy nous avons crié à haute voix et ordonné aux habitans icy assemblés de reconnoitre M. de Manse en ladite qualité de maire de la dite ville, ce qui a eté fait à l’instant par acclamation publique, et M. de Manse, ayant pris la parolle, a dit que son application et le zele qu’il aura pour l’interest particulier des habitans de cette ville sera une preuve de sa reconnoissance.

Et tout de suitte, M. Dortaman, gentilhomme, a dit que le roy ayant créé des charges de lieutenant de maire dans toutes les villes de son royaume, il l’avoit commis pour remplir celle de la ville de Montpellier et luy en avoit fait expedier sa commission, en consequence de laquelle il avoit presté serment le jour d’hier entre les mains de M. de St Maurice, conseiller d’etat, intendant de cette province, ainsy qu’il paroit du verbail qu’il luy en a delivré, et a requis M. de Manse, maire, de vouloir proceder à son installation, lui ayant remis sa commission et verbail de prestation de serment. […]

Sur quoy M. de Manse, maire, a octroyé acte de ladite lecture, et faisant droit aux requisitions de M. Dortaman, l’a reçu et installé en ladite charge de lieutenant de maire de ladite ville de Montpellier pour jouir par luy de ladite charge, conformement à saditte commission et verbal. Et c’est par la tradition qu’il a faite en ses mains de ladite commission, verbal de serment et pour l’avoir fait sieger à la chaize quy est au bout de la table à main gauche de celle dudit sieur maire, et a ordonné que ladite commission et verbail seront registrés ez registres de la communauté pour y avoir recours quand besoin sera, et a enjoint au public de reconnoitre M. Dortaman en ladite qualité de lieutenant de maire, ce qui a eté fait par acclamation. Après laquelle installation, M. Dortaman a dit qu’il etoit tres sensible aux acclamations du public et qu’il fairoit en sorte de luy en temoigner sa reconnoissance dans touttes les occasions.

Après laquelle installation, M. Ugla, ayant dit que le roy ayant aussy créé des charges des consuls des villes de son royaume, il luy avoit eté expedié un commission pour remplir celle de premier consul de cette ville etc.

L’office de maire est racheté pour 120 000 livres par « M. Louis de Manse trésorier de France ». Jean Dortoman, gentilhomme, devient lieutenant de maire pour 60 000 livres. Les charges de premier, troisième et cinquième consuls reviennent respectivement à Jean Ugla pour 40 000 livres, Jean Astruc (maître chirurgien) pour 30 000 livres, et Jean André pour 15 000 livres.

Parfois, la monarchie désigne elle-même les maire et consuls, et suspend pour cela les élections. Le gouvernement idéal de la cité n’est alors qu’un vieux mythe, qui s’effondre d’autant plus que l’administration subalterne de la cité est également altérée par la politique monarchique.

Les négociations entre la ville et la monarchie pour exercer la police

Pour ce qui concerne la police, un événement important intervient dans la décennie 1690-1700. Dès 1687, l’intendant Basville avait échoué à réformer la police de la ville en excluant les artisans du Bureau de police.

Mais à la faveur de la guerre de la Ligue d’Augsbourg (1688-1697), le roi a réussi, par un arrêt du Conseil du 20 décembre 1692, à réformer la composition du Bureau de police en échange de son accord pour que la ville conserve une « Boucherie close » (un système d’approvisionnement en viande contrôlé par la ville). L’autorisation royale est accordée contre 60 000 livres.

Désormais, le Bureau de police sera composé de six officiers du roi, six bourgeois et deux artisans. Dans les faits, au XVIIIe siècle, les officiers sont assez absents du Bureau de police, alors qu’ils sont présents au Conseil de Ville, et le nombre de bourgeois et d’artisans est plus important que ce qui était prévu en 1692. Cette augmentation permet d’inclure une plus grande proportion de citoyens dans le tribunal de police. Cela renforce la légitimité de cette institution et de ses membres, qui sont appelés les « policiens ».

Les autres moyens pour gouverner la ville

Les sixains de Montpellier
Les sixains de Montpellier
1 : Sainte-Foy 2 : Sainte-Anne  3 : Saint-Paul 4 : Saint-Mathieu 5 : Sainte-Croix 6 : Saint-Firmin
D’après le plan de Chalmandrier Nicolas Vidoni (AMU-UMR TELEMMe) et Mathieu Coulon (CNRS-AMU, UMR TELEMMe)

Le gouvernement de la ville s’exerce par d’autres canaux. Les finances sont administrées par le trésorier clavaire.

La ville a également une force armée, une main-forte qu’on appelle la « suite de ville » qui lui permet de prévenir et réprimer les contraventions à l’ordre public. Des contestations interviennent fréquemment contre cette main-forte. L’ordre public repose sur des règlements de police qui sont autorisés par l’intendant.

Malgré ce contrôle monarchique strict, les consuls exercent une autorité qui se veut paternelle. Ils se considèrent, sur le même modèle que le roi et ses sujets, comme des pères pour les habitants. C’est pourquoi ils ont chacun la charge d’un sixain, et qu’ils entretiennent des liens socio-politiques avec les principaux habitants et les îliers.

Les îliers et les nouveaux officiers de police

Les « isliers » ou îliers ont en charge un îlot, ou « île ». Au nombre de 92 en 1676, ils sont 122 en 1768. Le maillage de plus en plus fin de l’espace urbain accompagne l’augmentation de la population et accroît la surveillance policière.

La surveillance policière de la ville est une source d’opposition entre la ville et la monarchie, en particulier quand cette dernière crée en 1699 des Lieutenants généraux de police dans de nombreuses villes. Tout comme d’autres cités, Montpellier, soutenue par les États de Languedoc, rachète cet office pour 121 000 livres, auquel il faut ajouter des offices de maire et lieutenant de maire qui montent la somme à 260 000 livres.

Mais le moment le plus difficile intervient en 1705, quand la monarchie crée des offices de conseillers là où existent des Lieutenants généraux de police, sur le modèle parisien. Les consuls de Montpellier rejettent ces conseillers. Ils affirment que la police appartient de droit aux consuls. De plus, ils craignent le recrutement de personnes non-graduées (sans qualification juridique). Cela pose à leurs yeux la question double de la compétence et de la qualité. Selon eux, un habitant assez fortuné pour vivre de ses revenus est compétent pour surveiller les habitants de son îlot. À l’inverse, Basville affirme que ces îliers ne sont pas reconnus par la population, et qu’ils ne remplissent pas leurs missions, en particulier la surveillance des étrangers qui viennent loger en ville.

On retrouve ici un débat qui perdure jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, y compris pendant la Révolution. Ce débat repose sur deux logiques du contrôle social qui ne sont pourtant pas contradictoires. Les consuls affirment que la police doit être exécutée par des personnes reconnues socialement, alors que les officiers du roi plaident pour le recrutement de professionnels spécialisés dans les techniques policières. Des entre-deux existent, en particulier après la peste de Provence (1720-1724), quand des inspecteurs sont appointés pour parcourir les rues et surveiller la population. Mais le modèle parisien des officiers de police ne prend pas complètement, puisqu’il faut attendre le début de la Révolution pour que les autorités municipales de Montpellier créent des commissaires de police. En réalité, cette question des réformes touche le domaine de la police et l’ensemble des institutions et des pratiques de gouvernement de la ville.

Les réformes du gouvernement urbain au XVIIIe siècle

Le cœur du gouvernement de la ville : l’Hôtel de Ville

Dans les faits, le cœur du gouvernement municipal reste l’Hôtel de Ville. Il est dominé par la figure du premier consul puis du maire. Peu de portraits sont conservés pour le XVIIIe siècle. Le hasard a conservé celui de Cambacérès, maire à la suite de Massilian en 1754, puis de 1763 à 1776, quand la monarchie décide de le démettre pour éteindre un conflit avec l’intendant et certains habitants. Il est l’artisan, avec de Massilian, d’une réforme du gouvernement de la ville qui porte sur différents domaines.

Portrait de Jean-Antoine de Cambacérès, maire de Montpellier, 1765
Portrait de Jean-Antoine de Cambacérès, maire de Montpellier, 1765
Archives de Montpellier, BB 354

La bureaucratisation du gouvernement de la ville

L’administration de la ville est réorganisée matériellement. L’Hôtel de Ville connaît ainsi des réaménagements. Par exemple, certains espaces sont spécialisés, et des salles sont dédiées aux audiences de police, car la police reste incluse dans la justice. Elle est une « justice sommaire », qui inclut toutes les affaires ne dépassant pas une somme de 20 livres.

L’aménagement le plus important concerne la conservation des papiers du gouvernement de la ville. Pour cela, une salle par niveau est désormais consacrée à la conservation des archives. Ces dernières, de plus en plus nombreuses, se complexifient car les procédures nécessitent plus fréquemment le recours à l’écrit. Un processus de bureaucratisation affecte ainsi le gouvernement de la ville. Par exemple, un commis à l’enregistrement des demandes de logement pour les étrangers est créé en 1754, puis un deuxième en 1763. Cambacérès est l’artisan de ces réformes qui tendent à professionnaliser le fonctionnement de la police.

La multiplication des tâches de gouvernement

De la même manière que les hommes de bureau, les hommes de terrain voient leurs missions se diversifier. Les « escudiers », qui servent les consuls et font partie de la suite consulaire, reçoivent peu à peu de nouvelles missions et complètent l’occupation de l’espace par les inspecteurs, les capitaines de santé, les policiens et les îliers. Certains ont pour mission de surveiller les lieux suspects comme les débits de boisson, et l’on peut repérer, dans les archives, un nommé François Cuny, qui reçoit régulièrement à partir de 1784 des gratifications pour avoir surveillé, dénoncé et parfois arrêté des étrangers et des étrangères suspect-e-s. Sa carrière se poursuit également pendant la Révolution, puisque la nouvelle municipalité, y compris républicaine, recourt toujours à lui pour surveiller les débits de boisson.

Maintenir les hiérarchies sociales

La finalité du gouvernement de la ville est de maintenir le bon ordre et le « bien commun ». Ces expressions désignent en réalité la volonté de maintenir l’ordre social, la société d’Ancien Régime étant fondée sur un principe conservateur.

Or, l’enrichissement de la population au siècle des Lumières, et l’accroissement des mobilités dans les villes, créent des dynamiques de promotion sociale qui heurtent la stabilité recherchée par les élites politiques.

C’est la raison pour laquelle le Bureau de police intègre des couches de population plus larges. Il est un espace de participation à la chose publique pour les membres des métiers ou des corps professionnels qui forment la société urbaine. La participation des membres des petits métiers au Bureau de police s’accroît d’ailleurs dans la première moitié du XVIIIe siècle. Plus nombreux, ils sont également plus présents lors des séances, à la différence des bourgeois et surtout des officiers du roi, qui préfèrent participer aux séances du Conseil de Ville. Le recrutement des îliers va dans le même sens car il montre une popularisation de la fonction. C’est ce que dénoncent les officiers du roi et certains bourgeois à partir des années 1750-1760, au moment des réformes policières engagées par de Massilian et Cambacérès. Le gouvernement de la ville est donc doublement politique : il est un moyen de contrôler les populations et il est également l’objet d’une compétition au sein du groupe élargi des dominants.

Nicolas Vidoni

  • Plans de l'Hôtel de Ville, rez-de-chaussée, premier et deuxième étages
    Plans de l’Hôtel de Ville, rez-de-chaussée, premier et deuxième étages
    s.d. [XVIIIe s.]
    Archives départementales de l’Hérault, C 1102