La désignation des députés aux États généraux
Le processus de désignation des députés aux États généraux débute peu après la convocation par le roi publiée en août 1788 pour le mois de mai 1789. Il entraîne à Montpellier deux problèmes.
Le premier tient dans le mode de désignation des députés. Historiquement, Montpellier, en tant que grande communauté du Languedoc, a droit à deux députés. Or, le règlement de convocation ne prévoit en 1788 qu’un député pour la ville. En novembre 1788, le Conseil de Ville demande officiellement à bénéficier de deux députés. La perte d’un député provoque un sentiment d’injustice dans la population, sentiment que les autorités urbaines soutenues par les institutions judiciaires (Cour des Aides et des Finances, Trésoriers de France) entretiennent en dénonçant à l’occasion l’action des États de Languedoc qui, selon elles, voudraient continuer à parler au nom de la province au détriment des villes. Une ébullition réelle existe alors dans la ville à ce sujet.
Le second problème tient à la capacité de la population à dialoguer avec les autorités. Selon le mot de Pierre Goubert, les Français ont alors la parole, dans la mesure où des cahiers de doléances doivent être rédigés pour dialoguer avec le roi. Or, une partie de la population se trouve exclue des canaux institutionnels de dialogue, puisqu’elle n’a pas de représentants. C’est notamment le cas de toutes les professions non corporées (qui ne sont pas des métiers). Ces dernières rédigent alors, au début de 1789, des cahiers de doléances qui sont réunis et présentés comme le cahier du Tiers qui y affirme constituer la « Nation ». Des thèmes très généraux y sont évoqués, que l’on retrouve également dans les cahiers des métiers, par exemple dans celui des cafetiers et limonadiers :
« Maintenir le roy dans tous les droits, pouvoirs & prérogatives de la couronne, droits que nous regardons comme sacrés, imprescriptibles & inaliénables, pour le maintien desquels nous sommes prêts à sacrifier nos biens & nos vies ».
« Demander la suppression de dix sols pour livre sur le droit exorbitant des cartes à jouer par la grande diminution qu’il a produit. […]
Supprimer les visites domiciliées de cette foule d’emploïés dont l’esprit de vexation & de tirannie n’a point de frein & expose tous les jours les citoyens les plus honnettes à des procès ruineux » (cités dans la continuation de L’Histoire de Montpellier par d’Aigrefeuille, p. 643-644)
Il est attesté que des modèles de cahiers ont circulé, et ces doléances font écho aux demandes formulées au même moment au sein des assemblées de sixains. Elles concernent des sujets très généraux et des objets très particuliers qui ont trait au gouvernement de la ville. Cette effervescence politique se précise au mois d’août 1789, quand un phénomène de peur parcourt la ville (les habitants craignent d’être attaqués par des « brigands »), ce qui amène les assemblées des sixains à s’unir pour former une assemblée commune. Il est décidé que l’administration de la cité devra se faire désormais en accord avec les citoyens. C’est ce qui ressort de la lecture du procès-verbal de l’assemblée du sixain Sainte-Foy, réunie dans l’église des Augustins le 27 août 1789. Ses membres affirment notamment :
- Que des commissaires nommés demanderont à l’assemblée générale des commissaires de tous les sixains, d’élire un président, un vice-président et deux secrétaires
- Que des commissaires régénérateurs « surveilleront le régime de l’Administration municipale de la Police » (p. 5) et choisiront parmi eux ceux qui accompagneront les « commissaires coopérateurs ».
- Les commissaires coopérateurs « ne pourront faire aucune innovation sans s’être préalablement concertés avec tous les commissaires régénérateurs, lesquels jugeront avec eux si les changements proposés sont nécessaires, & assez importants pour assembler les sixains respectifs & connoître leurs vœux » (p. 5) (AN, H 748292, Procès-verbal des séances du Sixain Sainte-Foy, Montpellier, J-F Picot, 1789, 8 p.)
L’ensemble de ces décisions concerne l’administration et « l’ordre public » de la ville. Il aboutit à confirmer la réunion de citoyens et de représentants des sixains au sein d’un nouvelle assemblée, dont la première séance s’est tenue la veille.
L’Assemblée des représentants de la Commune
Le 26 août 1789, jour de proclamation de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen par l’Assemblée nationale, 106 citoyens de Montpellier se réunissent pour former une « assemblée des représentants de la Commune ». Ils affirment dès la première réunion, par la voix d’Albisson, un juriste de la ville :
« Nous Citoyens de la ville et Fauxbourgs de Montpellier assemblés extraordinairement dans l’hotel de ville pour délibérer sur les intérêts de la Commune.
Considérant que le premier caractère du Corps représentatif d’une Commune, est d’être formé par le concours des volontés et des suffrages, de tous les membres de cette commune, et par voië d’Election libre et effective.
Que l’Administration et la Police d’une Ville, n’ayant d’autre but que le bonheur, la sureté, la Paix et le maintien de l’Egalité civile entre tous les Citoyens, sans distinction de rang et de condition, elles doivent être fondées sur des Loix et des Règlemens approuvés et consentis par tous, avant que d’être proposés à la sanction de la Loi.
Que tous devant concourir à la formation des Loix qui doivent faire le bonheur et la sûreté de tous, l’exécution de ces Loix ne sauroit pourtant appartenir à tous parce qu’elle Exige des soins particuliers, une sollicitude continuelle, une vigilance soutenue, dont la suite et l’action seroient sans être interceptées ou affaiblies dans une assemblée générale qui ne sauroit d’ailleurs être permanente.
Que cette exécution doit être confiée à des Magistrats Municipaux et à un Conseil qui les aide de ses Lumières.
Que ces Magistrats et ce conseil n’ayant pas d’autre charge que d’Exécuter les Loix consenties par la Commune, de gérer les affaires de la Commune, et de veiller à ses Intérêts, Il s’ensuit que c’est à la Commune à les choisir, que c’est d’elle seule qu’ils peuvent tenir leur Caractère, leur mission et leurs pouvoirs, et que c’est à elle qu’ils sont comptables de l’Administration qui leur a été confiée.
Considérant enfin que le travail qu’exige la Formation d’un plan de Régénération d’administration et de Police, ne pouvant être fait dans des assemblées générales, Il est indispensable d’en charger des Citoyens qui aïent pouvoir et charge expresse de s’en occuper.
Que le choix de ces citoyens ne pouvant être fait que dans des assemblées ou chaque membre de la Commune puisse donner son suffrage, et une seule assemblée générale ne pouvant les réunir tous sans confusion, il est convenable de former des assemblées de sixains, à l’Imitation de ce qui a été fait dans la ville de Paris, ou chaque district a été assemblé à part pour nommer les députés qui doivent travailler au plan de régénération de la Cité.
Avons arrêté […] »
Dans les faits, cette assemblée qui prétend ne pas être fondée sur une distinction sociale est principalement composée de bourgeois, de négociants et de marchands, d’avocats ou d’officiers du roi. Elle ne prétend pas supplanter le Conseil de Ville, mais gouverner la ville avec ce Conseil en constituant un relais des volontés des citoyens.
Très rapidement, le nombre de participants se réduit, et l’action de l’Assemblée des représentants s’enlise dans une entreprise bureaucratique de rédaction de nouveaux règlements municipaux. Les événements trop rapides de la Révolution divisent les participants, et l’Assemblée se réunit une dernière fois en janvier 1790 pour laisser la place à la nouvelle municipalité élue au début de l’année.
Le rôle de cette assemblée est important malgré tout car elle a permis l’expression de nouveaux sentiments politiques, de nouvelles émotions individuelles et collectives qui ont donné un nouveau sens à la participation citoyenne. La « patrie » et la « nation » sont devenues deux notions importantes pour les habitants de la ville, sans pour autant que la participation soit devenue à proprement parler populaire.
C’est plutôt dans la défense de la Révolution que la population dans son ensemble s’est engagée, notamment à partir de la question de la sécurité et de la protection des libertés acquises.