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Pierrette Bloch

« Il y a des peintures, des œuvres lovées en nous. Elles sont là, trésor de guerre. Avec elles, le lien est d’origine. Les autres que nous aimons, aussi, mais autrement : c’est la vie des formes. »

« Retrouvé sur un carnet », in Discours & Circonstances, 2013

Solitaire et exigeante, Pierrette Bloch (1928 – 2017) n’a montré sa vie durant qu’une part modeste de son travail. Les quatorze œuvres de Pierrette Bloch entrées dans les collections du musée Fabre en 2019 sont intimement liées aux « errances », aux moments de bascule de la carrière de l’artiste dont elles donnent un riche aperçu, couvrant sept décennies de création. Des croquis de mimes jusqu’aux pastels à l’huile sur fond noir des dernières années, la démarche créative de l’artiste se conçoit comme une tentative, sans cesse recommencée : le peintre Michel Parmentier parlait en ce sens de la « quête acharnée et aveugle » de son amie artiste, proche également de Pierre Soulages.

D’origine juive, Pierrette Bloch revient à Paris après la Seconde Guerre mondiale, où elle étudie dans l’atelier d’André Lhote après avoir fréquenté celui de Jean Souverbie. Elle s’intéresse à la gestualité des corps qu’elle observe lors des cours de mime auxquels participe son ami Alvin Epstein, rencontré en 1948.

Si Pierrette Bloch se plaît à observer les corps, c’est également sa propre présence physique qui investit son œuvre, qu’elle surplombe, dès 1971, dans ses encres, le support mis à plat, répétant à intervalles plus ou moins réguliers le même geste minimal, ou qu’elle se déplace au fil de l’objet en train de se faire, lorsqu’il s’agit de nouer de longues lignes de crin, dès 1979.

Sans titre
Pierrette Bloch
Sans titre, 1948
Fusain sur papier Vergé bleu, 20 cm × 27 cm
inv. 2019.12.1
Musée Fabre
Sans titre
Pierrette Bloch
Sans titre, Vers 1977
Encre noire sur papier, 65 cm × 50 cm
inv. 2019.12.6
Musée Fabre

Ce sens du mouvement et de la ligne sera pleinement exacerbé à partir de l’année 1971, moment où Pierrette Bloch se consacre plus spécifiquement au travail à l’encre de Chine sur papier. Elle développe alors une pratique sérielle, parallèle aux modules de la peinture minimaliste américaine contemporaine – elle fait un deuxième séjour à New York en 1968 et découvre West Broadway. L’occupation de l’espace, par répétition de motifs irréguliers, imparfaits, rythme alors ses œuvres qui affirment l’individualité du geste.

Sans titre
Pierrette Bloch
Sans titre, 1992
Crins noués sur carton plume, 100 cm × 70 cm
inv. 2019.11.3
Musée Fabre

Son vocabulaire plastique, fait de points, de lignes droites et ondulées, tracées en longueur ou en largeur, évoque une écriture sans énoncé ni récit. Faisant suite à ses mailles et ses lignes de crins initiées en 1979 - qui seront visibles dans le parcours grâce à des prêts d’œuvres supplémentaires au fond du musée - l’artiste imagine dans les années 1990 des « dessins » de crin, en réalité davantage des sculptures de crin, qu’elle boucle autour d’un fil de nylon tendu à l’horizontale. Telle une écriture, le crin est dessiné par boucles et jambages, de manière linéaire.

« La promenade est une des circonstances que je préfère. C’est une aventure et un jeu. C’est être libre. Les routes, les sentiers, les villages, les rues, tout amène à choisir, à comparer, à prendre plaisir, à se souvenir. La promenade n’a comme limite que la fatigue ou l’heure. L’Avventura d’Antonioni : la lente circulation autour de l’île, ce long détour, la contrainte d’où l’on s’échappe alors qu’on espérait à peine, l’écart, un changement brusque de direction : voilà la promenade. J’aime aussi les longs voyages de nuit, le monde étrange des stations-service, les camions qui vont loin, la brume sur le paysage. »

Pierrette Bloch, « La liberté » in Discours & circonstances