Retour à “1622, Montpellier assiégé”

Montpellier ville protestante

Portrait de Jean Despuech, 3e consul de l’année 1620
par Jan de Wesel, huile sur parchemin
AMM, BB 354, fol. 45

Montpellier, vers 1620, est la « capitale huguenote de la province de Languedoc » (Arlette Jouanna), face à Toulouse la catholique et même à Nîmes la calviniste, qui n’a pas le poids politique et militaire de Montpellier. Ce statut est confirmé par l’édit de Nantes de 1598 qui fait de Montpellier la principale place de sûreté accordée aux protestants en Bas-Languedoc. Ici, les huguenots contrôlent les postes de pouvoir. Depuis 1562, les consuls sont presque exclusivement tous protestants. Pourtant, dans cette ville dont les institutions sont tenues par les réformés, les catholiques restent majoritaires, ce qui provoque des tensions sociales palpables à la veille de la nouvelle prise d’arme.

La Réforme à Montpellier

Ce registre de l’église réformée de Montpellier est le plus ancien répertoire d’état civil de Montpellier conservé. Ouvert en août 1560, il témoigne de la progression fulgurante du calvinisme au sein de la population montpelliéraine vers 1561-1562. Diffusée d’abord dans le milieu universitaire, élèves étrangers et professeurs influents comme Guillaume Rondelet et Jean Bocaud, la religion protestante devient alors dominante chez les élites urbaines, juristes officiers des cours royales et surtout médecins. L’église Notre-Dame-des-Tables est transformée en temple en septembre 1561, avant le réaménagement de l’ancienne cour du baile en Grand Temple en 1565. En perte de vitesse après 1622, le culte réformé est interdit à Montpellier en 1685 avec la révocation de l’édit de Nantes et la destruction du Grand Temple (actuelle place Chabaneau).

Montpellier dans les guerres de Religion

Au printemps 1562, le royaume de France sombre dans les guerres de Religion (1562-1598). C’est une période de violence, en particulier d’iconoclasme marqué par la destruction et le pillage des édifices religieux. Montpellier a durement été frappé par ces conflits successifs, ballotté sur le plan politique entre catholiques et protestants, avec des conséquences à long terme sur l’urbanisme et le patrimoine architectural de la ville. La chronique française du Petit Thalamus (1502-1604) s’en fait régulièrement l’écho : en 1562 quand les protestants retranchés derrière les murs de la Commune Clôture rasent les faubourgs, en 1568 où est démoli « ce que restoict de temples et esglises dans la ville », ou encore en 1581 avec l’effondrement du clocher de Notre-Dame-des-Tables, jusque-là épargné. Le récit des événements de l’automne 1562, opposant localement Jacques de Crussol, seigneur d’Assier, futur duc d’Uzès, et Guillaume de Joyeuse, lieutenant général de Languedoc, prend la forme d’une longue litanie d’édifices irrémédiablement disparus.

Petit Thalamus, chronique de 1562
AMM, AA 9, fol. 535 v°

Ruyne d’ediffices faicte a Montpellier pour la guerre 1562

Ceste annee comenca en ce royaulme celle tant sanguynolente et pernicieuse guerre civille pour le faict de la relligion […]

Au commencement du mois de septanbre suyvant, l’armee dudict seigneur de Joyeuse [catholiques] marcha devers Montpellier et ce campa dans le cloz de Lattez et du mas d’En Civade, ledict seigneur d’Acier [protestants] estant dans Montpellier avec les forces tant a cheval que a pied que luy estoient venuz dez pays de Daulphiné et Provence ce tenant aux champs aussi et ce campe entre la ville et Lattez et au lieu dict au mas de Boysson ou, appres avoir escarmoché souvent et perdu d’ung cousté d’autre et laché force coups de canon les ungz contre lez aultres, envyron le comencement d’octobre ses deux camps ce leverent sans aultre exploict sinon la ruyne totalle du plus beau que y eust a Montpellier qu’estoient les faulx bourgz, couventz, esglises et jardinaiges, que le tout pour la venue du camp dudict seigneur de Joyeuse et craincte d’ung siege feust soubdainement ruyné et demolly jusques a fleur de terre, les aulcungz tant par le feu que sappe et a la main non seullement a la distruiction et appovrissement de plusieurs bons habitantz mays a la deformation de la ville pour la ruyne desdictz ediffices que pour memoire de leurs antiens fondateurs et de la posterité ne sera hors de propos icy mentionnés, car il y avoict premierement quatre conventz dez mendiantz dez plus beaulx espacieux et mieulx bastis de France, soict en esglise maysonnaiges et clos, c’est des jaccopins au bout dez faulx bourgz Sainct Guillem chemin de Ginhac, dez cordelliers au chemin de Lattez, des augustins aulx faulx bourgz Sainct Gille chemin de Nismes, des carmes au devant la porte dez Carmes, plus y avoict aulx faulx bourgz Sainct Guillem ung monastere de bernardines nommé Valmagne, aultre de dames relligieuses de Prolhan dictes de Sainct Guillem la aupres une chappelle dicte la Magdaleine, hors la porte et faulx bourgz de la Sonerie près ladicte porte a main droicte en sortant ung convent des relligieuses recluses de la petite observance, de l’aultre costé une esglise de Sainct George, aultre de Sainct Thomas plus avant au bout dez faulx bourgs, a main gauche venant de la ville une belle esglise et colliege secullier dict de Sainct Saulveur, au devant ung hospital dict de Saincte Marthe, hors tout les faulx bourgz et murailhe de la pallissade le grand Sainct Jehan, esglise et beau massonnaige appertenant aulx chevalliers de Sainct Jehan de Hierusallem ou de Malthe, plus avant au chemin de Villeneufve ung couvent de relligieuses noires dictes de paradis sus Sainct Martin de Prunet la hault allant audict Villeneufve, augrand chemin de Beziers et de chesque costé du grand cemectiere dict le Carnier une esglise nommé l’une et la prochaine dudict chemin Sainct Barthelemy l’aultre Sainct Claude, a la porte de Lattez l’hospital Sainct Elloy ou ne feust rien touché d’entre la porte de Montpellieyret et icelle de Sainct Denys, du long de la digue une petite chappelle dicte de Nostre Dame de Bonnes Novelles a l’hiere et porte Sainct Denis l’esglise et parroisse Sainct Denys avec l’habitation dez prebstres, la bas aulx faulx bourgz Sainct Gille la commanderie et hospital Sainct Esprit Saint Martial, plus avant devant les augustins le convent Sainct Maur ou de la Trinité d’entre les faulx bourgz Sainct Gille et La Blanquerie, au dela du Merdansson la commanderie Sainct Anthoine d’entre les portes de la Blanquerie et dez Carmes sur le Merdansson près la digue ung beau hospital de la peste, appres les Carmes plus hault au chemin de Grabelz l’esglise Sainct Cosme, hors la porte du Peyron et faulx bourgz Sainct Jaume l’esglise et l’hospital Sainct Jaume, plus hault ez hieres dictes de Saincte Eulalye le convent de Saincte Eulalie ou de la mercy et joignant ledict convent une belle haulte tour carree ou estoict la cloche de l’université dez loix, que sont vingt sept conventz, esglises ou ediffices publicz soubz troys belles grandz salles dez estudes dez droictz pour lire qu’il y avoict d’entre la porte du Peyron et le couvent Sainct Eulalie et la hault près ledict Sainct Eulalie une aultre grand salle ou jadis seloient lire lez moines Sainct Germain, et du cousté de la porte dez Carme a deux cens pas ung beau chasteau et clos dict Boutonnet au chemin de Montferrier chose que ceste ruyne de fort pitieuse memoyre sans la perte dez maysons et jardinaiges des particulliers en grand nombre alentour de ladicte ville a mesme ruyne et dispertion feurent mis aussi toutz les esglises, oratoyres et croix estantz ez champs par le pays.

Équipe projet Thalamus, « La chronique française : année 1562 », dans Édition critique numérique du manuscrit AA9 des Archives municipales de Montpellier dit Le Petit Thalamus. Université Paul Valéry Montpellier-III.

Le difficile retour à la paix

Histoire de l’édit de Nantes jusqu’en 1622
AMM AA 12, fol. 54

Comment vivre ensemble après la guerre ? L’édit de pacification signé par le roi Henri IV à Nantes en 1598 règle le conflit armé entre catholiques et protestants, mais d’un point de vue social, s’établit une forme de coexistence. Concrètement, l’application de l’édit de Nantes à Montpellier se révèle compliquée et, à la demande du gouverneur de Languedoc, le duc Henri de Montmorency, des commissaires royaux sont envoyés en Languedoc en médiation pour l’exécution de l’édit de Nantes en 1601. Toutes les tractations, jusqu’à la Paix de Montpellier en 1622, sont notées par le notaire Jean Fesquet, secrétaire de la maison consulaire, dans un important registre conservé dans les archives de la ville. Ici, les doléances formulées par les habitants catholiques sont enregistrées, avec, dans la marge, pour chaque plainte, la réponse du duc de Montmorency, se référant à l’édit.

Demande contenant articles baillés par les catholiques de Monpellier contre ceux de la religion a monseigneur le conestable [Henri Ier de Montmorency] avec les ordonnances au pied d’icelles par lesquelles sa grandeur conformement a la volonté du roy declaire comme les ungs et les autres doivent vivre en ceste ville. 1601

C’est la demande que les ecclesiastiques et habitans catholiques de la ville et diocese de Montpellier baillent par devant vous monseigneur le conestable estant convoqués par votre commandement pour vous faire entendre leurs justes plainctes de doleances a ce qu’il vous plaise pouvoir sur icelles en executant la vollonté de sa magesté.

I [Rétablissement du culte catholique]

Premierement requierent que le service divin soit restably par toutes les villes et lieux dudit diocese les eglises, cymetieres et clochiers que ceulx de la Relligion pretendue refformée occuppent leur estre rendus et qu’en lieux ou lesdites eglises ont esté demolie sera baillé lieu commode par les officiers et consuls pour y cellebrer le service et habitation des prestres aux despens des ecclesiastiques conformement aux edicts de sa magesté.

Réponse : Il est ordonné que suivant le IIIe article de l’edict de Nantes le service divin sera restably en toutes les villes et lieux dudit diocese ou il a esté intermis et toutes les eglises, cymetieres et clochiers rendus aux ecclesiastiques pour en jouir paisiblement et suivant les anciennes institutions, et aux lieux ou les eglises sont demolies leur seront baillés maisonnats commodes tant pour les service que pour leurs habitations a leurs despens, a quoy et enjoinct aux officiers et consuls desdits lieux d’y satisfaire.

II [Rétablissement des fêtes religieuses catholiques]

Demandent aussy que les festes soient observées suivant le rolle qu’a ces fins en sera baillé par les sieurs evesques aux officiers et consuls des lieux qu’y seront tenus le faire observer a peine de respondre en leurs propres et privés noms, est permis aux catholiques le jour de la Feste Dieu tapisser les rues et faire la procession et autres actes appartenans a l’exercice de leur relligion.

Réponse : Accordé suivant le vingtieme article dudit edict et responce des commissaires sur le huictieme article du cayer des supplians.

III [Patrouilles pour garantir la tranquillité du culte catholique]

Et par ce que aux gardes et pat[r]ouilles qui se font en la ville de Montpellier on commect plusieurs desordres pendant la celebration du service divin ayant puis naguieres tiré des harquebusades dans la porte de la Canourgue pendant le sermon au grand trouble et scandalle des habitans catholiques, que doresnavant les pat[r]ouilles qui seront faictes soit de nuict, ou de jour seront conduictes par les cappitaines en chef qui seront responsables de toutes les insolences et desordres quy arriveront sans pouvoir tirer aulcunes harquebusades pendant les services.

Réponse : Accordé et enjoinct au sieur de Pujol gouverneur de la vile de Montpellier et aux consuls reigler de telle sorte lesdites pat[r]ouilles qu’il n’en puisse arriver inconvenient a peyne d’en respondre.

[…]

VIII [Liberté de circulation pour les catholiques]

Par les edicts du roy l’entrée des villes doibt estre libre pour tous les subjects du roy ce qu’est observé aux villes catholiques ou tous les subjects de sa magesté indifferamment sont receus sans informer de leur relligion, toutesfois en la ville de Montpellier ceulx quy se presentent sont informés sur leur relligion, constraincts prendre billet comme au plus fort de la guerre, disent qu’il doibt estre ordonné que l’entrée sera libre a tous les subjects du roy sans estre abstraincts prendre lesdits billets et sans estre informés de leur relligion, et pour faire cesser tels empeschemens, que les habitans catholiques pourront mettre ung portier a chaque porte aux despens de la ville et communaulté ou pouvoir de telle autre façon que lesdits abus cessent et l’entrée demeure libre a toutes personnes.

Réponse : L’entrée de la ville sera indifferamment permise a tous subjects du roy tant d’une que d’autre relligion sans que soubs pretexte de ladite relligion il puisse estre faict aulcung reffus et notamment aux ecclesiastiques, et est enjoinct au sieur de Pujols et en son absence ausdits consuls en cas de contrevention commise par les portiers les casser et y en mettre d’autres.

Texte inédit. Transcription : Pierre-Joan Bernard, Archives municipales de Montpellier.