Retour à “Une histoire de la pharmacie à Montpellier”

Montpellier et les plantes

Célèbre pour son Jardin des plantes, le premier créé en France à la fin du XVIe siècle, ainsi que pour son herbier, riche de plus de 3 millions de spécimens, la ville de Montpellier a très tôt accordé une place importante à l’étude et l’usage des plantes.

L’Université de médecine et notamment ses grandes personnalités sont pour beaucoup dans cet essor de la botanique qu’ils ont initié et soutenu, tout comme ceux de l’anatomie et de la zoologie dans cette approche humaniste qui caractérisait leur appréhension du monde. Les apothicaires ont également mis à profit cet environnement propice, confirmant le plaidoyer de Pierre Richer de Belleval, défendant la création d’un jardin des plantes à Montpellier, auprès du roi Henri IV, et proclamant que la région était « la plus médicamenteuse de la terre. »

La médecine, la pharmacie, les plantes et les frères Platter

Les notes de voyage de deux frères venus de Bâle en Suisse étudier la médecine à Montpellier constituent un témoignage incomparable sur la vie à Montpellier et dans le midi de la France au XVIe siècle : contexte politique et religieux, vie quotidienne, descriptions géographiques et artistiques, vie universitaire...

Autant de sujets de curiosité consignés par deux étudiants étrangers attirés à Montpellier par le renom de son Ecole de médecine.

Félix Platter y séjourne de 1552 à 1559, et son frère Thomas Platter quelques années plus tard, de 1595 à 1599. tandis qu’ils effectuent leurs années de médecine, les deux frères sont hébergés par la dynastie des apothicaires Catelan, qui les initient à leurs recettes pharmaceutiques et leurs intérêts humanistes alors traduits en cabinet de curiosités.

L’herborisation au temps des pionniers

« Neuf jours après mon entrée chez M. Jacques Catalan c’est-à-dire le 13 octobre, après avoir assisté dans la matinée à la réception du docteur Varon, j’allai herboriser avec une vingtaine d’autres étudiants, sous la conduite du docteur Ranchin. Avant d’arriver au village de Fabrègues où nous nous arrêtâmes pour prendre un verre de vin, on traverse des garrigues couvertes de cistes, de chênes kermès et de toute espèce de plantes aromatiques des pays chauds ; mais nous marchions trop vite pour pouvoir y faire attention. Le docteur Ranchin qui était à cheval avec quelques-uns des nôtres, avait pris une telle avance, qu’il nous fut impossible de le suivre. Nous arrivâmes à Balaruc à la nuit noire, sans avoir pu le rejoindre ; il fallut aller jusqu’à l’établissement de bains, situé à une demi-lieue plus loin, pour le découvrir enfin dans une mauvaise auberge, où nous fimes un maigre souper, composé d’une omelette ; et comme il n’y avait pas une seule chambre disponible, on nous mena coucher au grenier à foin. Les étudiants firent d’abord un peu de train, mais chacun finit par s’arranger tant bien que mal sur la paille, en compagnie du docteur ; et bientôt, la grande fatigue aidant, tout le monde dormit d’un bon sommeil. »

Le Suisse Félix Platter, a près avoir suivi les enseignements de l’université de Montpellier, a connu une longue et belle carrière de médecin et botaniste à Bâle. Sans doute inspiré par le cabinet de curiosités de l’apothicaire montpelliérain Laurent Catelan qui l’avait hébergé penfant ses études, il a constitué une solide collection scientifique.

Guillaume Rondelet dont il avait suivi les cours à Montpellier lui avait probablement appris, pour confectionner un herbier, la technique du séchage des plantes, technique mise au point par l’italien Luca Ghini.

Thomas Platter, un des premiers visiteurs du jardin des plantes

« Je restai à Montpellier du 15 au 20 juin, visitant diverses curiosités, et entre autres le jardin du roi, que le docteur Richier (sic) avait créé pour les étudiants en médecine, entre les portes du Peyrou er Saint-Gély, à une portée d’arquebuse du mur d’enceinte. Il y a fait creusee un grand puits ou citerne, à côté duquel sont construites plusieurs grottes d’une fraîcheur délicieuse en été, et où des terres humides et mousseuses, transportées par ses soins, permettent de cultiver des plantes aquatiques. Tout est parfaitement aménagé, du reste, pour les autres espèces ; il a même fait élever à cette intention une montagne, à plusieurs plateaux échelonnés… »

Les témoignages des frères Platter, Félix comme Thomas, parlent de l’intérêt pour les plantes et de l’herborisation comme d’une pratique tout à la fois banale et incontournable dans l’enseignement de la médecine à Montpellier.

Ainsi Guillaume Rondelet (1507-1566), déjà connu pour son exercice de l’anatomie et son expertise sur les poissons, emmenait également ses étudiants herboriser dans un souci constant de dispensaire des savoirs complémentaires et considérant par ailleurs, dans la tradition hippocratique, l’homme comme indissociable de son environnement.

Rondelet inscrit Rabelais sur le registre des médecins
Rondelet inscrit Rabelais sur le registre des médecins
Image ©lesféesspéciales

En 1550, il fit rendre obligatoires les herborisations dans le cursus des études médicales.

Montpellier était donc un terrain propice à l’implantation d’un jardin des plantes, pour la fondation duquel le médecin et botaniste Pierre Richer de Belleval obtient des lettres patentes, c’est-à-dire l’autorisation du roi Henri IV, en 1593.

Inspiré du « jardin médical » de Padoue, le Jardin des Plantes de Montpellier devient à son tour un modèle pour celui de Paris, créé en 1635. Le jardin est dédié à la culture des « simples », c’est-à-dire les plantes médicinales, puis s’ouvre largement à la diversité du monde végétal.

Montpellier joue un rôle majeur dans la botanique jusqu’au XVIIIe siècle, avec, notamment, Pierre Magnol qui, annonçant Karl von Linné et son système de classement révolutionnaire, définit dans sa Flore monumentale près de 2000 espèces de plantes. Le genre Magnolia est créé pour lui rendre hommage.

Branche de magnolia
Branche de magnolia
Londres, Wellcome collection

« De toutes celles portant le nom d’une localité précise, les plantes portant le nom de Montpellier sont les plus nombreuses.  »
Louis Emberger (1897-1969), botaniste français connu pour sa classification des bioclimats méditerranéens

  •  Aphyllanthes monspeliensis L.
    Aphyllanthes monspeliensis L.
  • Coris monspeliensis L.
    Coris monspeliensis L.
  • Camphorosma monspeliaca L.
    Camphorosma monspeliaca L.

Noms de plantes et noms de lieux

Ainsi Guillaume Rondelet (1507-1566), aussi jovial que compétent, fit découvrir à ses disciples la Nature aux portes de Montpellier. Ils y rencontrèrent des plantes méditerranéennes qu’ils n’avaient jamais vues et qu’ils crurent spéciales à Montpellier. Nombre de ces futurs éminents botanistes venaient d’autres régions : Mathias de l’Obel était flamand, Jacques Daléchamps venait de Caen et Charles de L’Écluse, d’Arras. Ils basèrent leur première nomenclature sur les grandes unités écologiques ainsi découvertes : la mer (maritima), les basses montagnes calcaires (montis calcaris, montana), et Montpellier et ses alentours (monspeliensis).

Les nombreuses évolutions de la discipline botanique sont venues largement préciser l’appréhension de ces pionniers du XVIe siècle, débaptisant et rebaptisant les plantes dans une nomenclature moderne.

Aujourd’hui, on considère que les plantes dédiées à Montpellier forment un véritable groupe historique qui rend hommage à la place de la ville dans l’avancée de la Botanique. Elles illustrent également la richesse exceptionnelle de sa flore.