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Montpellier et les apothicaires

« Montpellier est un lieu très favorable au commerce où viennent trafiquer en foule Chrétiens et Sarrasins, où affluent des Arabes du Garb, des marchands de la Lombardie, du royaume de la Grande Rome, de toutes les parties de l’Égypte, de la terre d’Israël, de la Grèce, de la Gaule, de l’Espagne, de l’Angleterre, de Gênes, de Pise, et qui y parlent toutes les langues. »

Benjamin de Tudèle, Voyages de Benjamin de Tudelle, autour du monde, commencé l’an 1173, aux frais du gouvernement, Paris, 1830

Une situation géographique favorable

Tout au bord de la Méditerranée, Montpellier bénéficie de l’importation de toutes les marchandises utiles au développement de la pharmacie dont les médecins ont besoin pour assurer les soins des malades.

Les ports de Lattes et d’Aigues-Mortes assurent d’importants transferts de marchandises entre l’Orient et le Nord de l’Europe. Les grands commerçants de la ville traitent à Alexandrie, Beyrouth, Chypre, Petite Arménie, etc., et s’enrichissent grâce au négoce avec le Levant.

Carte d'une partie du Languedoc, 1787
Carte d’une partie du Languedoc, 1787
Arsenal, MS-6443 (256)
Source Gallica/BNF

À partir de 1229, le roi Jacques d’Aragon, successeur des Guilhem, agrandit son domaine ibérique et favorise les échanges commerciaux, intellectuels et artistiques entre l’Espagne et le Midi.

L’aide apportée par les montpelliérains aux entreprises guerrières de leur seigneur n’est pas sans arrière-pensée mercantile et les marchands de la ville tirent grand profit de la situation.

Les épiciers-apothicaires du Moyen Âge

Au Moyen Âge, les poivriers et épiciers font fortune avec le négoce des substances utilisées dans la composition des remèdes : épices et denrées en tous genres, poivre, clous de girofle, gingembre, eau de violette, sucre de Candie et de Damas, miel de Narbonne... À cette époque, le métier d’épicier se confond avec celui d’apothicaire.

Le négoce des simples, drogues et autres remèdes ainsi que leurs préparations sont laissés aux épiciers, profession qui paraît alors relativement libre par rapport à toute tutelle extérieure. Toutefois, le serment des « espiciadors » prévoit que les confections seront exécutées devant les consuls du métier et en présence « de dos maistres de phezica », c’est-à-dire de deux médecins . En le prononçant, ils s’engagent à exercer leur profession bien et loyalement et à préparer les confections comme l’ordonne l’Antidotaire, soit l’Antidotaire Nicolas, livre de référence majeur pour la fabrication des remèdes à partir du XIIIe siècle.

Cependant le déclin du grand commerce montpelliérain des épices affecte la profession d’épicier. En parallèle, l’affirmation du statut d’apothicaire aboutit, à la fin du XVe siècle, à l’élaboration des premiers statuts professionnels de la corporation, placée sous la protection du Roi.

« Qui est épicier n’est pas apothicaire, et qui est apothicaire est épicier »
Louis XII, 1514

En dépit de la résistance de plusieurs apothicaires montpelliérains de renom, le métier de pharmacien s’est trouvé de plus en plus subordonné au contrôle des médecins. Cette spécialisation profite finalement au métier de pharmacien, désormais séparé de celui d’épicier.

Ainsi, dès le XIVe siècle les lettres patentes de Louis d’Anjou imposent aux apothicaires de ne recevoir d’ordonnances que des médecins .

Au XVIe siècle, l’Université de médecine de Montpellier renforce son contrôle sur l’activité des apothicaires, par l’élaboration de statuts successifs qui aboutissent à ceux de 1572 : 18 articles précisent alors le cadre d’exercice des apothicaires et consacrent la prééminence des médecins. Enfin, en 1631 à l’initiative de l’évêque Pierre de Fenouillet, de nouveaux statuts comprenant 31 articles sont rédigés qui restent en vigueur jusqu’à la fin du XVIIIe siècle .

Laurent Joubert (1529-1583)

Les statuts de 1572 prévoient, pour les apothicaires de Montpellier, la rédaction d’une pharmacopée de référence, qu’ils devront soigneusement suivre.

Cette mission est attribuée à Laurent Joubert (1529-1583), successeur de son maître Guillaume Rondelet à la chaire de médecine de Montpellier puis comme chancelier de l’Université.

Publiée en 1574, d’abord en latin, cette pharmacopée est rapidement traduite en français, pour la rendre intelligible à tous. Elle reste la norme un siècle durant.

Montpellier, la médecine, la pharmacie et les frères Platter

Les notes de voyage de deux frères venus de Bâle en Suisse étudier la médecine à Montpellier constituent un témoignage incomparable sur la vie à Montpellier et dans le midi de la France au XVIe siècle : contexte politique et religieux, vie quotidienne, descriptions géographiques et artistiques, vie universitaire...

Autant de sujets de curiosité consignés par deux étudiants étrangers attirés à Montpellier par le renom de son Ecole de médecine.

Félix Platter y séjourne de 1552 à 1559, et son frère Thomas Platter quelques années plus tard, de 1595 à 1599. Tandis qu’ils effectuent leurs années de médecine, les deux frères sont hébergés par la dynastie des apothicaires Catelan, qui les initient à leurs recettes pharmaceutiques et leurs intérêts humanistes alors traduites en cabinet de curiosités.

Apothicaires et médecins

L’autorité de l’Université se manifeste donc par le contrôle, plus ou moins strict selon les époques, sur les opérations pharmaceutiques.

Au Moyen Âge, la préparation des grandes compositions se fait en présence de deux maîtres en médecine , car la renommée des produits écoulés par les apothicaires de Montpellier nécessitait une étroite surveillance de leur préparation et de leur qualité.

Par la suite, l’université de médecine renforce son contrôle sous le regard du chancelier et d’après les statuts de 1631, la présence du chancelier de l’université, du doyen des professeurs et des maîtres jurés est requise pour les préparations magistrales que sont la thériaque, le mithridate, la confection d’alkermès et la confection d’hyacinthe, dont la préparation publique reste en vigueur au XVIIIe siècle.

La confrérie Saint-Roch

Le corps de métier des maîtres-apothicaires est constitué en une compagnie bien distincte, rattachée à l’Université et séparée des épiciers .

Saint Roch, … Livres des Confréries
Saint Roch, … Livres des Confréries
XVIIe siècle
BNF, RE-13 (5)-FOL

Il est, par ailleurs et comme bien d’autres professions, organisés également en confrérie. Celle qu’ils ont fondée en l’église des Augustins est placée sous l’invocation de Saint-Roch, protecteur contre les épidémies de peste en particulier.

Le somptueux décor d’une chapelle, comprenant notamment un grand tableau copié de Rubens, par un peintre parisien, Thomas Goussé (1627-1658) élève d’Eustache Lesueur, ainsi qu’un bel ensemble mobilier, illustre la notable aisance dont bénéficiait ce groupe restreint.

Le métier d’apothicaire n’est évidemment pas spécifique à la ville de Montpellier. Cependant, la situation géographique et le contexte politique et économique de cette cité médiévale a pris une part non négligeable dans l’établissement et la spécialisation de la profession.

En outre, l’Université de médecine, qui fête aujourd’hui ses 800 ans, devenant la plus ancienne de sa catégorie toujours en exercice, a naturellement joué un rôle important dans l’ordonnancement, la fabrication et le contrôle des remèdes.

Cette complémentarité essentielle, qui n’a pas été sans conflit de prérogatives, s’est également traduite localement par une certaine interpénétration des professions et des enseignements. Ainsi, en 1588, est mis en place un droguier à l’usage des étudiants en médecine, dont le premier démonstrateur est Bernardin Duranc (?-1623), auquel succède Laurent Catelan (1568 ?-1647).