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Les répercussions du siège

Montpelier
Gravure (vers 1635), AMM, 3Fi18

Après la violence et la haine, vient le temps de l’apaisement et de la reconstruction. En une dizaine d’années, la ville se relève de ses ruines et change complètement de physionomie. C’est un nouveau départ : politique avec la création de la Cour des Comptes, Aides et Finances de Montpellier en 1629, social avec le ralliement des élites au pouvoir royal, religieux avec la Contre-Réforme catholique menée par Pierre de Fenouillet, évêque de Montpellier de 1607 à 1652, et surtout urbanistique avec trois grands chantiers (le palais, la citadelle, la cathédrale), sans compter la multitude d’hôtels particuliers qui vont essentiellement rhabiller les vieilles demeures médiévales d’atours classiques. On ne peut passer sous silence, cependant, les tensions persistantes autour de la communauté protestante, et le souvenir du siège sera encore vivace quand on détruira le Grand Temple en 1685, au moment de la révocation de l’édit de Nantes.

La Citadelle

Moins de deux ans après le siège, la construction de la Citadelle est le symbole de la soumission militaire de Montpellier. Placée sur une éminence, elle contrôle la ville plus qu’elle ne la protège.

Histoire de l’édit de Nantes jusqu’en 1622
AMM, AA 12, fol. 394 v°

À la fin de son Histoire de l’édit de Nantes, le notaire du consulat Jean Fesquet copie un article de paix particulier du 18 octobre 1622 dans lequel Louis XIII promet qu’« il n’y aura ni gouvernement, ni garnison dans la ville, ni aucune citadelle bâtie. Ainsi sa Majesté veut et entend que la garde de ladite ville demeure ès mains des consuls. » Malgré la promesse du roi, le gouverneur Jacques de Valençay maintient la garnison royale en 1623, et manœuvre habilement auprès du conseil, prétextant les désagréments causés par les nombreux soldats logés en ville. Les consuls consentent donc par délibération à faire édifier une citadelle par le roi.

Plan de la ville et citadelle de Montpellier avec ses environs (1774)
Détail, AMM, 3 Fi 31

La direction des travaux est confiée à Charles Chesnel, seigneur de Meux, gentilhomme charentais, proche d’Henri IV, assisté de Jean de Beins, excellent ingénieur militaire, « fortificateur » du Dauphiné et de la frontière du Piémont. La première pierre de la Citadelle est posée le 29 mai 1624. D’après d’Aigrefeuille, les travaux ne commencèrent que le 10 juillet 1624 et furent terminés en 1626. Bien avant Vauban, c’est un chef d’œuvre d’architecture militaire, qui prolonge les innovations de d’Argencour. Elle forme un carré défensif de 270 mètres de côté avec ses quatre bastions, celui du Roi, au nord-ouest, celui de la Reine, au sud-ouest, celui de Ventadour (lieutenant-général du roi en Languedoc), au sud-est, et enfin celui de Montmorency (gouverneur de Languedoc), au nord-est. Par la suite, les remparts de la Commune Clôture entre les portes de Lattes et du Pila-Saint-Gély seront détruits pour englober la Citadelle dans le système défensif de Montpellier, en même temps que permettre à l’artillerie de pilonner la ville en cas de rébellion.

  • Pierres de fondation de la Citadelle
    Photographies inventaire du mobilier de la ville en dépôt à la Société archéologique de Montpellier
    AMM, 6 S (fonds Jean-Claude Richard)

Inscriptions des pierres fondamentales de la Citadelle de Montpellier découvertes en avril 1890 à la pointe du bastion de Montmorency (traduction par A. Barthès) :

Pierre A
Louis XIII, le Juste, roi de France et de Navarre,
Arbitre du monde chrétien et restaurateur
De l’État français, très brave et très fortuné souverain
Après avoir éteint les incendies des guerres civiles,
Et, dans cette ville, qui se rendit après un siège de deux mois,
Assuré à son royaume une paix éternelle,
Bâtit cette citadelle demandée par l’assemblée des citoyens
Comme un gage éternel de sécurité future.
Pierre C
 
L’auteur de cette inscription est
Noble Jean de Beins, qui a
Habilement dirigé ce travail
Au nom du Roi.
Pierre B
 
Fondateur :
Henri, duc de Montmorency,
Pair de France, Grand Amiral,
Premier gentilhomme de la chambre du Roi,
Gouverneur du Languedoc,
Qui, blessé presque mortellement ici-même
En combattant vaillamment,
Cimenta ces pierres de son propre sang.
 
Directeur des travaux :
Charles Chesnel, seigneur de Meux,
Du gouvernement de la Saintonge,
Capitaine au régiment des gardes du roi,
Nommé ingénieur de la Citadelle.
 
Etant consuls :
Gabriel de Grasset, conseiller du roi,
Procureur général à la chambre suprême des comptes,
Jean Santoul, Antoine Sarremejean,
Pierre Chabaud, Paul Poulalhon et Jean Hérail.
 
Le 29 mai 1624

Une nouvelle cathédrale ?

Au lendemain du siège, il n’existe à Montpellier pas un seul édifice religieux en état. La cathédrale Saint-Pierre, sur laquelle se sont acharnés les huguenots pendant 60 ans, n’est plus qu’un champ de ruines. Pourtant l’ancien monastère-collège Saint-Benoît-Saint-Germain, aux allures de forteresse, a résisté aux coups de canons, aux pillages, aux mines et aux assauts répétés. Seul le clocher sud-est a été abattu en 1568, éventrant les voutes de la nef dans l’effondrement. Le sol est recouvert d’un impressionnant amoncellement de pierres. Tout est à reconstruire. Alors qu’on songe au rétablissement du culte catholique à Montpellier et au relèvement des églises, la question se pose : faut-il restaurer la cathédrale Saint-Pierre ou bâtir un nouveau sanctuaire ?

La cathédrale Saint-Pierre ruinée, détail du plan de Montpellier par Ziarko Polonius (vers 1630)
Coll. Société archéologique de Montpellier

L’évêque Pierre de Fenouillet crée en 1625 une commission qui va réfléchir à un projet de nouvelle cathédrale. Le choix du site se porte rapidement sur « le lieu où était la Canourgue », c’est-à-dire l’ancien chapitre cathédral et église Sainte-Croix, rasés lors du Harlan. Cet emplacement a l’avantage d’être sur une position éminente et centrale, en surplomb de la cathédrale Saint-Pierre, sur un terrain appartenant à l’évêché. L’année 1626 est occupée à aménager « la place de la Canourgue », en créant l’espace nécessaire à une nouvelle cathédrale, dédiée au roi capétien saint Louis. On confie le projet à l’architecte Pierre Levesville, originaire d’Orléans, passé par Toulouse. On en élève les fondations, mais le 22 juin 1629, les travaux sont interrompus par décision spéciale du cardinal de Richelieu qui ordonne de réparer l’ancienne cathédrale Saint-Pierre. Le chantier est abandonné définitivement à la fin de l’été. La Canourgue devient alors la promenade la plus agréable de Montpellier. Il ne reste aujourd’hui de Saint-Louis de Montpellier, la cathédrale inachevée, que la base des piliers du chevet, qui servent de soubassement à la place.

La place de la Canourgue, projet de fontaine et de statue d’Henri IV
Aquarelle de l’album de dessins de Charles Abric (vers 1825)
AMM, 14 Fi 2

Pour en savoir plus : Bernard Sournia et Jean-Louis Vayssettes. Montpellier : chronique de la cathédrale inachevée. Coll. « Duo », patrimoine protégé. DRAC Languedoc-Roussillon, 2014.

Un retentissement national

Les campagnes de Louis XIII de 1621 et 1622 s’accompagnent d’une propagande par l’image, essentiellement parisienne, célébrant les victoires du roi. Les places protestantes soumises font l’objet de gravures et de dessins représentant leurs fortifications et les opérations de siège, sous forme d’affiches et de plans, rassemblés parfois dans des recueils panégyriques comme Les Triomphes de Louis le Juste de Jean Valdor, publié en 1649 (reproduit plus haut), et Les Lauriers triomphans de Pierre Boyer, atlas manuscrit destiné au monarque composé entre 1633 et 1642. On recense ainsi une dizaine de représentations du siège de Montpellier, certaines se copiant les unes les autres. Cette riche iconographie, accompagnée de légendes et de commentaires détaillés, décrit avec précision les ouvrages militaires et les positions des forces en présence. L’image sert d’une part à la diffusion de l’information officielle – le roi Louis XIII est en général figuré en armes sur les gravures contemporaines des faits –, et d’autre part elle constitue une source pour la poliorcétique, l’art d’assiéger les villes, qui influera sur tous les ingénieurs militaires jusqu’à Vauban. Largement diffusés et reproduits durant plus d’un siècle, ces gravures et dessins montrent l’importance et l’écho du siège de Montpellier dans tout le royaume.

À Paris, les frères Nicolas et Michel de Mathonière sont spécialistes des affiches sur des sujets d’actualités qu’ils impriment à des centaines d’exemplaires. Elles se composent d’une partie supérieure gravée avec une vue cavalière du siège, et d’une partie inférieure typographiée avec un texte faisant l’historique de la ville et des événements. La technique de la gravure sur bois, bon marché, explique le manque de précision de la représentation. Placardées sur les murs de la capitale, ces affiches sont la principale source d’information de la population à l’époque des faits, par le texte et par l’image.

En savoir plus  :
Consultez la version interactive de ce plan

La vraye representation du siege…
Gravure de Michel de Mathonière (1622)
Musée du Vieux-Montpellier, D 2011-0-7.

En 1623, paraît à Paris chez Jean Richer Le huictieme tome du Mercure françois, des années 1621 & 1622. Le Mercure françois, première revue périodique éditée en France, fait office de chronique officielle du règne de Louis XIII. Cependant, avec le Mercure, on n’est plus tout-à-fait dans la propagande et davantage dans la poliorcétique. En témoigne ce plan plus technique qu’esthétique, publié à l’appui d’un compte-rendu du siège de Montpellier. D’une précision scrupuleuse, œuvre sans doute d’un cartographe aguerri, c’est le témoignage le plus parfait de ce que furent les fortifications de d’Argencour, avec leurs bastions, leurs fossés etc. Le chroniqueur anonyme du Journal du siège y fait même référence. De sorte qu’il devint le modèle de tous les plans publiés par la suite, notamment celui de Jean Valdor de 1649.

Veritable portraict du Siege de Montpellier
Gravure (1623)
BnF, Estampes, RESERVE FOL-QB-201 (22)

Sur le même modèle que les Mathonière mais de qualité nettement supérieure, Melchior Tavernier, graveur et imprimeur du roi, édite, avec privilège de Sa Majesté, une affiche du siège de Montpellier en septembre 1622. La gravure est beaucoup plus précise dans les détails, en particulier des fortifications, de même que la légende plus fournie. Elle représente le combat au Peyrou, début septembre. Les principaux monuments de la ville y sont figurés, jusqu’au Jardin du Roy (premier jardin des Plantes). Cela reste une vue cavalière de Montpellier, réaliste certes, mais pas véridique au niveau architectural.

En savoir plus  :
Consultez la version interactive de ce plan

Plan au vray de la ville de Montpellier…
Gravure de Melchior Tavernier (1622)
Musée du Vieux-Montpellier, D 2011-0-7

Cette copie manuscrite et aquarellée du plan du Mercure françois témoigne de l’intérêt suscité par le siège de Montpellier longtemps après les faits.

Plan du siège de Montpellier
Aquarelle (XVIIIe s.)
AMM, II 574

Cette gravure est caractéristique d’un autre type de représentation du siège, plus fantaisiste, qui fait davantage de place au récit glorieux (voire à l’allégorie) qu’au détail historique, même si l’iconographie des armures et des uniformes royaux est remarquable. La lecture de l’image se fait comme une bande-dessinée. L’action se place début octobre, à l’arrivée des renforts du duc de Lesdiguières. Les troupes de Louis XIII vont à la rencontre de celles du connétable, puis marchent sur la cité. La ville et ses fortifications sont reléguées au second plan. Ici ce sont les canons rugissants qui ont la vedette, avec Montpellier en ligne de mire.

Le plan et situation de la ville de Montpellier assiégée par Sa Majesté
Gravure (1622)
BnF, Estampes, RESERVE FOL-QB-201 (22)

Cette autre copie du plan du Mercure françois a été exécutée pour un procès, en appui des revendications du couvent des Cordeliers de Montpellier sur certains terrains après le siège.

Plan figuré du siège de Montpellier
Aquarelle (XVIIe s.)
AD 34, 17 H 23

« Situation et siège de la ville de Montpellier en France, en l’an 1622 ». Cette affiche allemande montre le retentissement du siège de Montpellier au-delà des frontières du royaume. Elle montre surtout l’intérêt des protestants allemands pour leurs « frères » français. D’ailleurs, le discours est plus mesuré et précise que la ville n’a pu être conquise par Louis XIII. Pour ce qui est de la gravure, la représentation est similaire à l’image précédente, figurant la ville cernée par les canons. Cependant, la vue de Montpellier est plus soignée, et s’inspire peut-être des plans de la Cosmographie de Sebastian Münster pour la Commune Clôture et l’urbanisme.

Gelegenheit und Belagerung der Statt Montpellier in Franckreich Anno MDCXII
Gravure (1622)
BnF, Estampes, RESERVE FOL-QB-201 (22)

Le chanoine Charles d’Aigrefeuille commande en 1737 au graveur Jean Villaret trois grands plans pour illustrer sa monumentale Histoire de la ville de Montpellier depuis son origine jusqu’à notre tems, dont un plan un siège de 1622. Villaret réalise un travail exceptionnel qui sublime le plan du Mercure françois. S’il est exactement fidèle à la représentation de la ville et de ses fortifications, il est truffé de scènes de batailles, de campements, de canonnades qui le rendent particulièrement vivant. La qualité de la gravure surpasse de loin les précédentes. Ce plan scelle définitivement l’image de Montpellier hérissé de bastions. Placé au centre de l’ouvrage, il est révélateur du moment clé que fut le siège de 1622 dans l’histoire de Montpellier.

Plan du siège de Montpellier en 1622
Gravure de Jean Villaret (1737)
Montpellier Méditerranée Métropole - Médiathèque centrale Emile Zola, EstL0070