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Les peintures

Les Opéras
Dominique Gauthier
Les Opéras, 1981
Acrylique sur gaze et toile collées, résine synthétique, 379 cm × 484 cm
82.3.17
Achat de la Ville de Montpellier, 1982

Alors tout juste installé dans un atelier rue Chaptal à Montpellier, après avoir été nommé professeur à l’École des beaux-arts de Montpellier en 1979, Dominique Gauthier débute en 1980 l’ensemble des « Opéras », qui fait suite à ceux des « Médées », des « Chaos » et des « Pans », réalisés en 1978 à Marseille, puis des Cercles (ring) l’année suivante. Caractérisés par leur monumentalité, l’exubérance des couleurs et l’hétérogénéité de leurs matériaux, « Les Opéras » de Dominique Gauthier, tout comme les séries précitées, se déploient sur le mur, sans châssis. Les formes libres issues du découpage et de l’assemblage de fragments de toile créent une rythmique et un déséquilibre spatial évocateur d’un tourbillon musical orchestré par l’artiste, qui associe leur titre à « un projet artistique total lié […] à la civilisation industrielle, à la sonorité et à la décadence1 ».

Opéra
Dominique Gauthier
Opéra, 1981
Acrylique sur gaze et toile collées, résine synthétique, 300 cm × 400 cm
2005.8.1
Don Jean Fournier, 2001

Certaines pièces de cet ensemble furent exposées dès 1981 chez le galeriste parisien Jean Fournier2, qui fit don de l’une d’entre elles en 2005 au musée Fabre, tandis qu’une première œuvre avait déjà été achetée par la Ville de Montpellier en 1982. Une sélection de pièces fut également présentée au Centre Georges-Pompidou en 1982-1983, au côté d’un ensemble d’opéras « Médées » et d’opéras « Épopées ». À cette époque, Gauthier est associé à la « nouvelle vague baroque3 » ainsi qu’aux « nouveaux fauves4 » qui rompent avec la rigueur et l’austérité minimale de l’art des années 1960 et 1970.

1Dominique Gauthier, « l’objet expose le lieu », Montpellier, Peuple et culture, 1985, retranscrit in Dominique Gauthier, Écrits (1976-2016), Montpellier, Méridianes, 2017, p. 28.

2Exposition personnelle « Peintures récentes », 9 mai – 10 juin 1981.

3Catherine Millet, Suzanne Pagé, Baroques 81 : Les débordements d’une avant-garde internationale, cat. exp. Paris, AEC. Musée d’Art moderne de la Ville de Paris (1er octobre – 15 novembre 1981), Paris, musée d’Art moderne de la Ville de Paris, 1981.

4D’après le titre d’une exposition tenue à Aix-la-Chapelle en 1980. Cf. Die neuen Wilden, cat. exp. Aix-la-Chapelle, Neue Galerie – Sammlung Ludwig (19 janvier – 21 mars 1980), Aix-la-Chapelle, Neue Galerie, 1980.

C’est en 1987 qu’émerge la série des « Effrois (pour Bellini) », basculement formel qu’accompagnent de nombreux autres ensembles, dont « Les Jardins après Auschwitz » et, l’année suivante, « Les Provisions après Cimabue » et les « Venises (Lagunes) ». Tous sont marqués par un retour au cadre induit par le recours au châssis et une peinture épaisse et fluide, où l’application de résine par endroits confère un caractère organique à la surface. Cette matière disparate et fragmentaire peut être rapprochée, comme le fait Yves Michaud, d’une abstraction de « plate-forme1 », formée [composée] par l’accumulation de couches et de textures. Ces différents ensembles, qui s’épanouissent durant la seconde moitié des années 1980, témoignent d’une référence à la peinture religieuse et à l’art des primitifs italiens, que ce soit dans les titres, les formes sacrées de la crucifixion – récurrentes – ou dans les tonalités colorées, mates et denses. Les compositions de Gauthier se structurent davantage et s’économisent, donnant à sa peinture une solennité figée qui rompt avec le sens du mouvement des ensembles précédents.

  • Les Effrois (pour Bellini)
    Dominique Gauthier
    Les Effrois (pour Bellini), 1987
    Résine et huile sur toile marouflée sur bois, 155 cm × 153 cm
    2021.36.2
    Don en hommage à Mme Nicole Sanguinède, 2021
  • Les Provisions après Cimabue
    Dominique Gauthier
    Les Provisions après Cimabue, 1988-1989
    Acrylique, stuc et résine sur toile, 250 cm × 230 cm
    2021.13.1
    Don de l’artiste, 2021
  • Les Varias pour le jaune
    Dominique Gauthier
    Les Varias pour le jaune, 1989-1991
    Acrylique, huile et résine sur toile, 190 cm × 185 cm
    2021.13.2
    Don de l’artiste, 2021

1Yves Michaud, in Dominique Gauthier, L’Autrefois d’à-présent, cat. exp. Perpignan, Centre d’art contemporain Àcentmètresducentredumonde, musée d’art Hyacinthe Rigaud, Cases-de-Pène, Château de Jau (15 juin – 22 septembre 2019), Montpellier, Méridianes, 2019, p. 66.

  • Hostinato
    Dominique Gauthier
    Hostinato, 1992-2001
    Acrylique, crayon de maçon sur toile, 350 cm × 350 cm
    2021.13.4
    Don de l’artiste, 2021
  • Hostinato (versus)
    Dominique Gauthier
    Hostinato (versus), 1992-2018
    Acrylique, crayon de maçon et huile sur toile, 205 cm × 200 cm
    2021.13.3
    Don de l’artiste, 2021

En 1991, Dominique Gauthier démarre le cycle de l’« Hostinato », l’un des plus constants dans son parcours. Travaillés à l’aide de clous et de cordelettes, les tableaux de cet ensemble répètent de manière « obstinée » une même forme circulaire et elliptique, à l’image des compositions musicales qui procèdent de l’ostinato. La question du rythme sonore revient donc au cœur de l’œuvre du peintre, tout comme dans « Les Orphiques » et « Les Enchantés ». Ces toiles comptent parmi les plus grands formats utilisés par le peintre, de par l’action démultiplicatrice de l’instrument. Celui-ci prive la main du peintre de toute autonomie, « mise à l’épreuve de mouvements tourbillonnaires », décrivant « une ligne tendue comme un ressort, mécanique d’une horlogerie qui se montre en acte : chaque trait vaut pour un geste, chaque geste compte pour une durée1 ».

Les Enchantés
Dominique Gauthier
Les Enchantés, 2006
Acrylique et résine sur toile, 180 cm × 425 cm
2021.12.2
Don de la fondation d’entreprise du musée Fabre après achat auprès de l’artiste, 2021

Dans les deux « Orphiques III » du musée Fabre, ce principe démultiplicateur est associé à la méthode du pliage, en hommage à l’œuvre de Michel Parmentier, mais qui évoque également celui de Simon Hantaï, que Dominique Gauthier a rencontré à la galerie de Jean Fournier.

  • Les Orphiques Noirs I
    Dominique Gauthier
    Les Orphiques Noirs I, 2003
    Acrylique, huile, laque et résine sur toile, 205 cm × 200 cm
    2021.12.3
    Don de la fondation d’entreprise après achat auprès de l’artiste, 2021
  • Les Orphiques <span class="caps">III</span>
    Dominique Gauthier
    Les Orphiques III, 2018
    Acrylique, laque et vernis sur toile, 265 cm × 200 cm
    2021.13.6
    Don de l’artiste, 2021

1Sylvain Amic, in Dominique Gauthier : Ce que parler veut peindre (pour ainsi dire), cat. exp. Montpellier, Carré Sainte-Anne / École supérieure des beaux-arts (24 juin – 5 septembre 2004) Sète, éditions Villa Saint-Clair, 2004, p. 13.

En 2003, Dominique Gauthier met en place un dispositif scénique permettant à l’œuvre d’apparaître en son absence. Il donne lieu à l’ensemble des « Réponses », qui a fait l’objet d’une exposition au Carré Sainte-Anne de Montpellier en 2004 et à la galerie des Filles du Calvaire à Paris. Une vingtaine de sacs en plastique, accrochés aux bras d’un semblant de lustre circulaire suspendu au plafond, sont remplis de peinture de différentes couleurs des restes et résidus de la palette de l’atelier, puis percés d’un coup d’épingle : la couleur vient alors se répandre goutte à goutte sur la toile placée en dessous, devenant le terrain, le « sol de déposition » de la peinture, selon les termes de l’artiste. Généralement conçues dans son atelier à Lavérune, alors que l’artiste est professeur à l’École des beaux-arts de Paris et s’y déplace régulièrement, ses œuvres ont à voir avec les images acheiropoïètes, créées en l’absence de la main de l’homme. Sur de profonds aplats, encadrés d’une bande peinte une fois le processus terminé par l’artiste, les pigments colorés se répandent et se mêlent dans une temporalité silencieuse, faisant advenir l’immanence de la peinture.

Les Réponses
Dominique Gauthier
Les Réponses, 2003
Acrylique, laque et résine sur toile, 200 cm × 195 cm
2021.13.7
Don de l’artiste, 2021

Dans les peintures des années 2017-2019 de la série des « Mandylions », l’artiste renoue avec des références sacrées liées aux origines de la représentation picturale tout en s’inscrivant dans la lignée des papiers découpés d’Henri Matisse. Déclinaisons issues des « Opéras », « Les Mandylions », à l’organisation complexe, témoignent d’une même exubérance à travers l’enchevêtrement des fines coulures de peinture et des imposantes formes découpées reportées en un léger décalage. L’opération de report, laissant visible la silhouette des formes découpées, joue sur les profondeurs de la peinture tout en mettant en relief le processus d’apparition des figures.