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Les eaux de la ville

L’eau a deux fonctions dans la ville. La première est de constituer une ressource vitale pour les habitants. La deuxième est de permettre le nettoyage et l’agrément de l’espace urbain.

Historiquement, l’eau est puisée ou retirée à des fontaines. Au XVIIIe siècle, une nouveauté surgit dans la ville. Il s’agit de l’adduction individuelle et privée qui alimente progressivement une partie des habitations et des logements.

Les fontaines

Capsule sonore 3
Description de Montpellier en 1768

Les fontaines agrémentent le paysage des villes, et certaines sont bâties selon un aspect monumental. L’arrivée des eaux de la source St-Clément constituée d’un château d’eau sur le modèle d’un temple antique en est un exemple saisissant, tout comme la fontaine de la place de la Comédie, consacrée aux Trois Grâces. La référence antique est essentielle pour rehausser le prestige de la ville et agrémenter les bassins qui manifestent la maîtrise de l’eau.

{Élevation de la fontaine de la Canourgue representant les trois graces}
Élevation de la fontaine de la Canourgue representant les trois graces
Dessin à l’encre et l’aquarelle par Etienne Dantoine, 1773
Archives de Montpellier, DD 78

Mais elles ont avant tout un rôle essentiel dans la vie quotidienne des habitants. Le plan dressé par Chalmandrier en montre trois : la fontaine Putanelle au Nord-Ouest de la ville, à proximité du Verdanson ; la fontaine des Carmes, à la pointe Nord-Ouest de l’enceinte, à la porte des Carmes ; et la fontaine du Pila St-Gély, au Nord, sans doute la plus grande en ville. Une quatrième, cachée par le titre, est celle de Lattes.

  • {Plan de la ville et citadelle de Montpellier avec ses environs gravé par Nicolas Chalmandrier}
    Plan de la ville et citadelle de Montpellier avec ses environs gravé par Nicolas Chalmandrier
    Détail des fontaines, 1774
    Archives de Montpellier, 3 Fi 31

Au moment de la Révolution, les habitants de Celleneuve demandent leur rattachement à la ville au motif, parmi d’autres, que leur fontaine est essentielle pour les habitants de Montpellier.

Le plan de Flandio de La Combe, à la fin du XVIIIe siècle, montre que des aménagements ont été menés. Les fontaines de la place de la Canourgue, de la place de la Préfecture, de la place de la fontaine Pouzin, de la place de la Chapelle Neuve, de la place de la Mission, ainsi qu’aux portes de la rue Saint-Guilhem et de la Grand’Rue ont été édifiées. Il ne s’agit pas nécessairement de fontaines monumentales, mais elles traduisent une multiplication des points d’accès à la ressource pour les habitants. Leur construction a été permise par une meilleure adduction de l’eau dans la ville.

  • Plan de Montpellier dit Flandio de la Combe de 1788 entièrement remanié en 1816
    Plan de Montpellier dit Flandio de la Combe de 1788 entièrement remanié en 1816
    Archives de Montpellier, 2 Fi 498

Les conduites d’eau dans la ville

À côté des nombreuses délibérations du Conseil de Ville qui ordonnent l’aménagement des conduites d’eau, un plan datant des années 1750-1770, lorsque de Massilian puis Cambacérès sont maires, permet de comprendre comment les conduites d’eau ont été décidées et réalisées.

Le point essentiel est l’arrivée d’eau par la place du Peyrou, grâce à l’aqueduc de la fontaine St-Clément.

  • Fragment de canalisation découvert lors de travaux au Peyrou
    Fragment de canalisation découvert lors de travaux au Peyrou
    Archives de Montpellier, don Mission Grand’Cœur

L’importance du débit permet d’irriguer l’ensemble de l’espace urbain, ce qui n’était pas le cas auparavant. Murat, dans la Topographie médicale de Montpellier qu’il publie en 1810, estime que l’eau de l’aqueduc fournit 70 à 80 pouces d’eau, et que les besoins sont de 1 pouce d’eau pour 1 000 habitants, et 40 pouces pour les fontaines publiques.

Sur le plan prospectif, trois dérivations principales sont imaginées.

Plan aquarellé de Montpellier montrant les aménagements urbains et le tracé des canalisations
Plan aquarellé de Montpellier montrant les aménagements urbains et le tracé des canalisations
s.d. [c. 1750]
Archives de Montpellier, II 150

La première permettrait d’amener l’eau vers la promenade basse du Peyrou, du côté du faubourg St-Guilhem. Elle desservirait ainsi la porte St-Guilhem et les casernes, lieu de concentration de population et d’accès pour la population du faubourg. La deuxième desservirait, à l’inverse, la promenade basse du Peyrou vers le jardin du roi, puis la porte des Carmes, et se prolongerait jusqu’à la fontaine du Pila St-Gély en longeant l’enceinte et le Verdanson. Des fontaines, par exemple celle de la porte de la Blanquerie, sont prévues sur ce tracé et s’intègrent dans des réaménagements ponctuels.

Plan et élévation de la porte de la Blanquerie
Plan et élévation de la porte de la Blanquerie
s.d. [XVIIIe s.]
Archives de Montpellier, II 594

Enfin, une voie intérieure à la ville est prévue. Elle passerait par la porte du Peyrou, suivrait le Palais de Justice, puis se diviserait entre une arrivée place du Petit-Scel, et une conduite qui passerait par la Canourgue, l’intendance, et se subdiviserait à son tour pour desservir au Sud la Grand Rue et la Porte de Lattes, à l’Est l’Esplanade et la citadelle, et en remontant quelques maisons individuelles.

Le plan de Flandio de La Combe montre que la totalité du projet n’a pas été réalisée. Un conflit a en effet surgi entre le maire, Cambacérès, et l’intendant Saint-Priest, le maire accusant le second d’avoir détourné l’eau pour la faire passer par l’intendance et approvisionner les maisons de « clients » à lui (lettre du 27 décembre 1779). On voit notamment sur le plan de Flandio de La Combe que des maisons sont équipées, alors que d’autres, plus nombreuses, ne le sont pas.

Le meilleur approvisionnement de la ville en eau a été accompagné d’aménagements plus spécifiques pour utiliser les pentes des rues afin d’évacuer les eaux et les saletés.

L’utilisation des rues en pente

Au début du XIXe siècle, Poitevin, auteur d’un Essai sur le climat de Montpellier (1803) constate :

« Les rues sont en général étroites et mal percées, comme celles de la plupart des villes des départements méridionaux, où l’on a cherché à se préserver de la chaleur, et où le besoin, bien plus que le goût, a dirigé les constructions. Ces rues ont l’inconvénient de présenter souvent des pentes assez rapides ; mais ces défauts sont compensés par l’avantage précieux d’avoir pu pratiquer des aqueducs souterrains qui reçoivent toutes les immondices des lieux d’aisance et les transportent dans deux ruisseaux situés l’un au nord, l’autre au midi de la ville ; ce qui contribue beaucoup à la propreté des rues et à la salubrité de l’air ».

La propreté des rues est donc obtenue par la combinaison de deux principes. D’une part, les rues choisies pour amener les eaux salubres et évacuer les eaux sales sont celles qui sont en pente. Le sommet de la ville, le Peyrou, est donc le début de ce système. Il inclut des tronçons enterrés ou voûtés, comme le long du mur des Douze Pans sur le plan particulier du Palais, et des portions à découvert.

{Plan de la conduitte qui porte les eaux a la fontaine St Pierre}
Plan de la conduitte qui porte les eaux a la fontaine St Pierre
Dressé par Giral et Donnat, 1775
Archives de Montpellier, II 489

Lors de l’aménagement ou du pavage des rues, le choix est fait d’utiliser les pentes pour permettre l’écoulement naturel des eaux vers l’extérieur de la ville. Ainsi, lorsqu’une nouvelle rue est pavée le long des fossés à proximité de la salle de spectacles, les architectes de la ville font le choix de raccorder cette nouvelle rue à la rue des Etuves, très ancienne, et de surélever quelque peu le niveau de cette rue par rapport à la seconde.

Projet de nouvelle rue longeant la salle de spectacle
Projet de nouvelle rue longeant la salle de spectacle
Par Giral, s.d. [2e moitié XVIIIe s.]
Archives de Montpellier, II 475

La première et la deuxième ruelles transversales auront ainsi 1 pied et 5 pouces de hauteur par rapport à la rue des Etuves, et la troisième ruelle 15 pouces. Les eaux pourront s’écouler, converger et être évacuées par la nouvelle ouverture pratiquée sur le cours.

Légende illustration : Plan de Montpellier dit Flandio de la Combe de 1788 entièrement remanié en 1816, détail, Archives de Montpellier, 2 Fi 498.

On remarque d’ailleurs sur un plan d’élévation d’une maison contre la porte de la Saunerie, la pente marquée de la Grand’Rue, qui permet un écoulement des eaux du Nord vers le Sud de la ville.

{Elevation d'une des façades a faire a main gauche de la porte de la sonnerie}
Elevation d’une des façades a faire a main gauche de la porte de la sonnerie
Par Desfour, s.d. [2e moitié XVIIIe s.]
Archives de Montpellier, II 595

L’évacuation des eaux usées se fait dans deux directions. La première, au Nord, vers le Merdanson, qui est appelé au XVIIIe siècle, tardivement, le Verdanson. Ses eaux s’écoulent vers le Lez, situé à l’Est de la ville. Les usages qui en sont faits sont multiples et posent des problèmes de salubrité. Il reçoit à l’origine les déchets de la ville, d’où son premier nom, mais constitue également un espace de prélèvement d’eau. Or, cette eau est polluée par la proximité des cimetières ou des tanneries, ce que l’on voit encore sur un plan de 1836.

Tableau d'assemblage des plans d'alignement des rues de la ville de Montpellier
Tableau d’assemblage des plans d’alignement des rues de la ville de Montpellier
Par les architectes Fovis et Boué, 1825, détail
Archives de Montpellier, 1 Fi 15

À l’Est, les eaux usées sont évacuées vers « l’Egout » qui quitte la ville vers Lattes. Il est visible sur le plan de Chalmandrier et le plan aquarellé prospectif. Il est encore en usage au XIXe siècle.

Enfin, certains habitants percent eux-mêmes des évacuations depuis leurs maisons. C’est notamment le cas en janvier 1778, quand d’Arnal, capitaine en premier au corps royal du Génie, écrit aux maire et consuls pour dénoncer le fait que des habitants percent le mur d’enceinte entre la porte du Peyrou et celle de St-Guilhem pour y vider leurs latrines. Il l’a constaté lui-même, et il affirme que ces trous offrent vision désagréable sur une promenade publique. Pour cette raison, il demande au maire d’agir.

Légende illustration : Plan de la ville et citadelle de Montpellier avec ses environs gravé par Nicolas Chalmandrier, détail, 1774, Archives de Montpellier, 3 Fi 31.

Dans les faits, des pratiques traditionnelles persistent et nuisent à la propreté et la salubrité des rues. En septembre 1789, les consuls constatent dans le cul-de-sac de Pertrach, rue de la Chapelle Neuve (n° 389 sur le plan de Flandio) la mauvaise odeur qui règne et des éléments en putréfaction. Les habitants répondent qu’ils n’ont plus de « lieu commun » pour évacuer leurs boues. Il persiste donc bien, tard dans le siècle, des lieux d’infection dans l’espace urbain.

La population et l’eau de la ville

L’ensemble de ces aménagements répond à une demande sociale réelle. Pendant longtemps, l’approvisionnement en eau a été insuffisant. Les habitants devaient recourir aux puits qui existaient en ville, ou aller s’approvisionner parfois jusqu’au Pont Juvénal sur le Lez, à plus d’un kilomètre et demi de la ville. Une des raisons avancées par l’auteur de la Description de Montpellier de 1768 est le détournement des eaux par les propriétaires des jardins environnants la ville :

« Nous avions autrefois un nombre considérable de fontaines, pour l’usage des habitants. On en connaissait presque à toutes les portes de la ville, et en outre, celles de Lattes, de Saint-Barthélemy, des Cordeliers, de las Masques, Font-Couverte et la Font Putanelle. On prétend que les eaux de celles-ci étaient minérales ; ce qu’il y a de certain, c’est que les eaux qu’elles donnaient étaient pures, vives, cristallines et fort légères.

On a laissé perdre toutes ces fontaines, dont les sources ou conduites ont été interceptées par les puits à roue, que l’on a construits en grand nombre, dans les jardins potagers, que l’on a faits aux environs. La seule ancienne, qui donne une bonne eau, est celle du Pila Saint-Gilles, qu’on néglige même beaucoup, quoiqu’elle soit d’une grande utilité. »

Pourtant, la population demande fréquemment aux autorités de réparer ou réfectionner les fontaines.

La période de la peste en 1720 a été un moment d’inquiétude majeure, notamment quand les habitants du faubourg de la Saunerie se sont plaints d’un manque d’eau, particulièrement dangereux pendant l’été et les fortes chaleurs. Les consuls ont à l’occasion constaté que les aqueducs qui devaient conduire l’eau étaient défectueux.

De la même manière, des prélèvements sauvages existaient, aussi bien dans le Verdanson que lorsque les conduites et les tuyaux urbains ont été aménagés. C’est pourquoi les autorités ont progressivement règlementé les prélèvements, puis lutté contre les prises d’eau illégales. Une ordonnance du 30 août 1788 interdit ainsi aux habitants de « saigner la conduite des Eaux de la Fontaine de la ville » dans la rue, et aux fontainiers ou artisans de prendre l’eau dans les conduits.

Ordonnance du bureau de police de la ville de Montpellier
Ordonnance du bureau de police de la ville de Montpellier
Affiche, 1788
Archives de Montpellier, FF 261

Enfin, le problème du financement de ces équipements reste posé tout au long de la période. Lors d’une visite générale de la ville le 14 septembre 1789, les consuls et les commissaires constatent un grand nombre de problèmes, soit des culs-de-sac non éclairés, soit des bouches d’égout défectueuses. Une est particulièrement dangereuse, celle située à proximité des habitations n° 84 et 397 de la rue de la Chapelle Neuve.

Légende illustration : Plan de Montpellier dit Flandio de la Combe de 1788 entièrement remanié en 1816, détail, Archives de Montpellier, 2 Fi 498.

Un des propriétaires, Cambon, offre de payer la fermeture de la bouche d’égout avec une plaque à gonds et des clés. Il demande que sa voisine, Madame Crevasse, paye également une partie de l’ouvrage, afin d’éviter que les jeunes élèves des Ursulines ne tombent dans cette ouverture et ne soient emportées dans les canalisations. On le voit, la ville reste malgré ces aménagements un espace dangereux.

Nicolas Vidoni