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Les dessins

Les Opéras théâtres

Alors que la plupart des dessins de Dominique Gauthier se développent dans les limites des formats standard de papier, « Les Opéras théâtres »1 qui accompagnent la fin des années 1970 sont parfaitement libres de se déployer autant que nécessaire, et seule peut-être la fragilité du support peut mettre un frein à la volonté expansive inhérente à l’œuvre. Le dessin de 1979 interroge diverses formes géométriques, entre vide et plein, lignes et traits estompés qui occupent sans le remplir l’espace intérieur. Des bandes courbes telles des grandes virgules, colorées à gros traits, viennent enserrer ou contrarier les deux formes initiales.

Dominique Gauthier
Les Opéras théâtres, 1982
Acrylique, gouache, encre et mine de plomb sur papiers découpés et collés, 110 cm × 215 cm
2021.13.10
Don de l’artiste, 2021

Le deuxième, réalisé en 1982, plus proche des « Opéras » de peinture dans sa monumentalité, profite du principe des collages pour s’émanciper et se multiplier dans une dynamique d’enjambements ronds accentuée par l’exubérance des bandelettes. Toutefois, une forme tranchante faite de triangles vient stopper ce mouvement prospère. Des dessins ajoutent des indications référentielles à l’acte en train de se jouer, comme l’envisage la promesse du titre.

1Bibl. : Frédéric Valabregue, Yves Michaud, Dominique Gauthier, Paris, Éditions du Regard, 2001, p. 21

Les Opéras idéogrammes

L’ensemble des « Opéras idéogrammes »1 a pris forme entre 1984 et 1986, alors que Dominique Gauthier poursuivait l’idée d’« impliquer des figurations dans des figurations abstraites. » Pour le support, l’artiste recourt à un dispositif inédit, celui d’un contrecollage de papiers de soie dont le rendu final participe de façon sensible à la qualité esthétique des œuvres. Gauthier souligne l’apparente fragilité du support en y apposant un aplat d’enduit de fresque coloré, dont il apprécie les qualités physique et plastique. Le protocole régulateur pour le « dessin » proprement dit demeure le collage et l’assemblage.

  • Les Opéras idéogrammes I
    Dominique Gauthier
    Les Opéras idéogrammes I, 1984-1985
    Collage, encre et aquarelle sur papier de soie, 100 cm × 65 cm
    2021.13.15
    Don de l’artiste, 2021
  • Les Opéras idéogrammes I
    Dominique Gauthier
    Les Opéras idéogrammes I, 1984-1985
    Collage, encre et aquarelle sur papier de soie, 100 cm × 65 cm
    2021.13.16
    Don de l’artiste, 2021

Les figures sont prises dans les ouvrages de référence qui habitent le désir encyclopédique de l’artiste : parmi eux, un Larousse encyclopédique de la fin du XIXe siècle, un livre de photographies sur les champs de bataille et l’historique des conflits de 1914-1918, un deuxième sur les débuts de l’Union soviétique, un troisième sur l’ascension du Mont Everest et sur le Tibet, enfin des cartes postales anciennes, des planches anatomiques maniéristes. Les différents dessins, disposés sur plusieurs tables afin de pouvoir y revenir de manière synchrone, ont été exécutés dans le temps « étiré, entre voyages et attentes » afin de produire dans leur synthèse, avec les couleurs ou les signes dessinés au crayon ou à l’encre, une unité ancrée dans la diversité.

1Bibl. : Dominique Gauthier, «  Les Opéras idéogrammes  », Gennevilliers, Galerie municipale Édouard Manet, 1991, p. 19 (NB)  ; Frédéric Valabregue, Yves Michaud, Dominique Gauthier, Paris, Éditions du Regard, 2001, p. 28.

Les Énoncés

Dominique Gauthier
Les Énoncés, 1987-1989
Entre et aquarelle sur papier, 65 cm × 45 cm
2021.13.20
Don de l’artiste, 2021

Exécutés entre 1987 et 1989, sur un papier format demi-raisin, « Les Énoncés » sont composés à partir des techniques graphiques habituelles, encre et aquarelle, l’usage du collage étant ici laissé de côté. Dans une réflexion formelle, deux traits perpendiculaires convoquent un espace orthonormé dans lequel l’artiste suspend ou fait glisser des formes colorées avec élégance et délicatesse, oscillant entre le rond et le carré. Dans cette multiplication gourmande, voire insatiable de propositions, Dominique Gauthier semble explorer le champ des possibles et s’arrête pourtant à un moment donné, étant arrivé – dans la mise à plat de l’ensemble des dessins exécutés – à une forme aboutie, accomplie, assouvie. Le titre donne à penser à un postulat de départ, à une question ou à un problème, à un cadre intellectuel qui délimite une portion d’imaginaire, évoquant, dans cette manière de nommer sans expliquer le cadre conceptuel de l’œuvre, l’appellation d’une des dernières installations de Marcel Duchamp, Étant donnés : 1° la chute d’eau 2° le gaz d’éclairage

Luz Organa rotonda

Ces seize éléments, de format A4, font partie d’une série tout à fait exceptionnelle, « Luz Organa rotonda », dont la plupart des caractéristiques sont des marqueurs de la production des années 1990. Tout d’abord, l’artiste intègre dans son travail le principe de la symétrie afin d’en explorer le potentiel programmatique qui s’accompagne dans le dessin de la technique de pliage. Ainsi, la ligne graphique, tracée à la plume et encre de Chine, enchaîne sans trembler les boucles, se referme et se reboucle, aboutissant à une figure infiniment finie.

Dominique Gauthier
Luz Organa rotonda, 1995-1996
Sélection de seize encres sur papier, 29 cm × 21 cm
2021.13.27
Don de l’artiste, 2021

Mais le principe le plus spectaculaire de l’œuvre est sans doute sa prolifération jubilatoire : ainsi, l’ensemble comprendrait plus de 3 000 pièces qui a pu être présenté jusqu’à mille pièces en une fois (Centre régional d’art contemporain de Sète et musée de Céret, 2001) mais peut se décliner également en de multiples combinaisons. Le titre de l’ensemble découle de la passion de l’artiste pour la diversité des sources d’inspiration et leur synthèse : en hébreu, luz pour « lumière » ou « os » ; en espagnol, organa pour le rapport incarné à l’œuvre, enfin rotonda en référence et hommage à la Villa Rotonda – exécutée par l’architecte italien Andrea Palladio, en Vénétie – et à son principe de symétrie.

Les Énoncés Histoires

Avec ce nouvel ensemble qui court sur les vingt dernières années en buvant aux sources des vingt premières, Dominique Gauthier fait la synthèse de sa grande première période graphique, et aussi picturale, y choisissant les éléments qui vont lui permettre d’articuler la suivante. Dans une conjugaison renouvelée de formats différents, mais toujours puisés dans ceux existant dans le commerce, les techniques de collage et de tracés à l’encre demeurent de puissants invariants dans l’expression de l’artiste.

  • Dominique Gauthier
    Les Énoncés Histoires, 1998-2000
    Collage et encre sur papier, 29 cm × 21 cm
    2021.13.28
    Don de l’artiste, 2021
  • Dominique Gauthier
    Les Énoncés Histoires, 1998-2000
    Collage et encre sur papier, 29 cm × 21 cm
    2021.13.29
    Don de l’artiste, 2021
  • Les Énoncés Histoires, 1998-2000
    Collage et encre sur papier, 65 cm × 50 cm
    2021.13.31
    Don de l’artiste, 2021

Déjà précédemment observées dans les œuvres antérieures, les figures géométriques, pleines ou vides, et les lignes serpentines qui se referment sur elles-mêmes à force de tourbillons se juxtaposent et s’entrecroisent pour créer par voie d’accumulation, comme s’il s’agissait de bribes d’histoires ou de pièces, un monument ou un grand récit qui gagnerait sa forme de manière performative, au fur et à mesure de son échafaudage ou de son écriture. Afin d’exposer un tel ensemble, l’artiste, qui continue à travailler sur cette série, présente ces dessins encadrés sur plusieurs rangs et épaisseurs, donnant une forme au récit qu’ils contiennent.