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Guide de l’exposition

Le Voyage en Italie de Louis Gauffier

À la fin du XVIIIe siècle, le voyage en Italie prend une ampleur inédite et attire les curieux de toute l’Europe. Les vestiges romains comme les chefs-d’œuvre de la Renaissance incitent les voyageurs à se lancer dans le « Grand Tour », selon l’expression britannique consacrée. À la même époque, le mouvement néoclassique encourage la redécouverte de l’Antiquité et attire une multitude d’artistes dans la péninsule. Parmi eux, l’un des plus séduisants est sans conteste Louis Gauffier (1762-1801).

Portrait de la famille Gauffier
Louis Gauffier
Pauline Gauffier
Portrait de la famille Gauffier, 1793
Huile sur toile,
Florence, galerie des Offices, dépôt au Palazzo Pitti, Galleria d’Arte Moderna

Lauréat du grand prix de l’Académie à l’âge de 22 ans, le peintre arrive à Rome en 1784 et s’établit définitivement en Italie jusqu’à son décès précoce en 1801. Témoin de l’univers fascinant du Grand Tour, de la fin de l’Ancien Régime aux débuts de la Révolution jusqu’aux campagnes du général Bonaparte, Gauffier traverse une époque de transformations radicales qui influencent sa vie et son art. À Rome, le peintre élabore des tableaux d’histoire raffinés, précieux et savants. À Florence, il devient le portraitiste des voyageurs de toute l’Europe. En inscrivant ses modèles dans des paysages mêlant les monuments de la capitale toscane et les beautés de la nature, il développe une formule qui associe intimité, charme et décontraction. Il pratique la peinture en plein air, étudie les arbres et les rochers, l’atmosphère et la lumière, qu’il transpose dans des paysages d’une extraordinaire sensibilité, annonciatrice des inventions du XIXe siècle.

Portrait d'homme devant Florence
Louis Gauffier
Portrait d’homme devant Florence, 1796
Huile sur toile, 67 cm × 51 cm
Collection privée

L’amitié de Gauffier avec François-Xavier Fabre, fondateur du musée de Montpellier, explique sa représentation dans les collections du musée depuis près de deux siècles. La présente rétrospective organisée en partenariat avec le musée Sainte-Croix de Poitiers, ville de naissance de Gauffier, est la première à lui être consacrée. Reconnue d’intérêt national par le Ministère de la Culture, elle bénéficie de prestigieux prêts du musée du Louvre, du château de Fontainebleau, mais aussi des musées d’Edimbourg, de Cambridge, de Stockholm, de Philadelphie, de Minneapolis, de San Francisco, de Melbourne et de bien d’autres institutions publiques comme de collectionneurs privés. L’exposition propose un vaste parcours d’une centaine de peintures et de dessins réunis en dix sections, à la découverte d’un artiste sensible et visionnaire, dans la lumière de l’Italie.

1 Le voyage en Italie de Louis Gauffier
2 Portrait de la famille Gauffier

Le prix de Rome

La Cananéenne aux pieds du Christ
Jean-Germain Drouais
La Cananéenne aux pieds du Christ, 1784
Huile sur toile,
Paris, musée du Louvre, département des Peintures

Au XVIIIe siècle, le grand prix de l’Académie royale cristallise l’espoir de tous les jeunes peintres. Après plusieurs épreuves éliminatoires, les finalistes sont invités à peindre un tableau sur un sujet choisi par les académiciens, tiré de la Bible, de l’histoire ou de la mythologie grecque et romaine. Le lauréat devient alors pensionnaire du roi à Rome pour une durée de quatre ans. Ce séjour de formation permet aux artistes d’étudier les chefs- d’œuvre antiques et modernes, tout en promettant de prestigieuses commandes à leur retour à Paris.

Pour l’édition de 1784, le jury choisit un passage des Évangiles, la Cananéenne aux pieds du Christ. Gauffier, alors âgé de 22 ans, est un des candidats les plus sérieux. Formé dans l’atelier d’Hugues Taraval (1729-1785), il a remporté des médailles pour des dessins d’après le modèle vivant en 1779 et 1780, puis a concouru au grand prix en 1782 et 1783. Face à lui, Jean Germain Drouais est incontestablement le grand favori. Son maître Jacques Louis David (1748-1825), devenu en quelques années le peintre le plus commenté des Salons parisiens, tient en très haute estime son jeune élève. À la fin du mois de mars 1784, les candidats sont admis « en loge » où ils élaborent patiemment leur tableau.

La Cananéenne aux pieds du Christ
Louis Gauffier
La Cananéenne aux pieds du Christ , 1784
Huile sur toile,
Beaux-Arts de Paris, dépôt du musée du Louvre

Au terme de l’épreuve, en août, c’est Drouais qui est proclamé vainqueur, mais le jury choisit également d’honorer Gauffier du prix de l’année 1779, qui n’avait pas été décerné. Leurs tableaux, sévères et majestueux, illustrent l’influence très nette exercée par l’art de l’Antiquité comme par la peinture de Nicolas Poussin (1594-1665) considérés alors comme des modèles absolus. Les deux jeunes gens, portés en triomphe par leurs camarades, quittent la France en octobre pour gagner la Ville éternelle.

3 Prix de Rome
4 Le Christ et la Cananéenne, Jean Germain Drouais
5 La Cananéenne aux pieds du Christ, Louis Gauffier

Dessiner Rome

Véritable « académie de l’Europe », Rome est un vaste laboratoire artistique où des peintres, des sculpteurs et des architectes venus de tout pays élaborent des formes nouvelles. Gauffier réside au cœur de la cité, via del Corso, au Palais Mancini, siège de l’Académie de France. Sous la conduite des deux directeurs successifs, Louis Lagrenée (1725-1805) puis François Guillaume Ménageot (1744-1816), les pensionnaires s’exercent longuement à l’étude d’après le nu. Surtout, ils ont tout le loisir de partir à la découverte de la ville, de ses monuments, de ses vestiges, de ses musées publics et de ses galeries privées. La copie est au cœur de la pédagogie et permet aux artistes, durant les quatre années de leur séjour, de se constituer de riches répertoires de modèles qu’ils utiliseront tout au long de leur carrière.

Une ville imaginaire
Louis Gauffier
Une ville imaginaire, Plume et encre brune, lavis brun sur traits au crayon graphite sur papier vergé, 33 cm × 47 cm
837.1.842
Musée Fabre Legs François-Xavier Fabre, 1837

Dans le sillage de David, qui accompagne Drouais à Rome, les artistes français remplissent leurs albums de centaines de dessins et livrent une vision nouvelle de la ville. Ces paysages urbains, exécutés au crayon, à la plume et au lavis, jouent sur les contrastes entre l’encre sombre et la lumière du papier laissé vierge. Les formes sont géométrisées, les bâtiments réduits à des volumes simples, presque abstraits. Les églises médiévales, les immeubles modestes deviennent de sévères constructions dignes de l’Antiquité. C’est avec le même regard que les artistes observent les habitants de la Rome contemporaine, croisés dans les rues : revêtus de lourds manteaux et de beaux drapés, ils acquièrent la beauté idéale de la sculpture antique.

Une poésie étrange émane de ces images : tout détail pittoresque est éliminé au profit d’une vision qui affirme l’essence classique de la ville. La frénésie du dessin et la rectitude du style témoignent d’une imprégnation radicale du génie de Rome et illustrent la quête éperdue de la grandeur antique.

6 Dessiner Rome
7 Dessins, Pierre Henri de Valenciennes
8 Composition imitant une épitaphe, Charles Piercer
9 Une femme vêtue d’un manteau, Louis Gauffier
10 Vue prise à Tivoli, Jean Germain Drouais
11 Homme assis, Jean Germain Drouais

Premiers succès

Pendant leurs quatre années de résidence au Palais Mancini, les pensionnaires sont soumis à un règlement strict, contraints de ne travailler que pour le roi qui finance leur séjour. Pourtant les deux directeurs, Lagrenée et Ménageot, autorisent des entorses : de 1784 à 1789, Gauffier peint chaque année des tableaux d’histoire, dont les sujets sont tirés de la Bible ou de l’histoire antique. Présentés dans les expositions des pensionnaires, le 25 août, jour de la Saint-Louis, ils sont admirés avec enthousiasme par le public romain. Des amateurs français en voyage à Rome les achètent et permettent au jeune homme de se faire un nom. Au fil des années, Gauffier et son camarade Drouais deviennent les deux talents les plus prometteurs de l’école française.

Dans ses tableaux d’histoire, Gauffier adhère pleinement à l’esthétique néoclassique qui traverse la peinture européenne. La sculpture et l’architecture antiques, les peintres classiques de la Renaissance et du XVIIe siècle, Raphaël, Nicolas Poussin ou Eustache Le Sueur, sont alors conçus comme des modèles absolus et inspirent le jeune artiste. Parmi les peintres vivants, David, qui séjourne à Rome de 1775 à 1780 puis de 1784 à 1785, apparaît comme le chef de file de cette esthétique nouvelle. Gauffier, qui ne fut pas son élève, prend ses distances avec le maître. Les actions violentes et les sujets guerriers sont absents de son art. Ses peintures tirées de l’Ancien Testament s’inscrivent dans des paysages radieux qui expriment une sensibilité idyllique, pastorale, primitive. Ses compositions inspirées de l’histoire antique manifestent une curiosité archéologique sans borne, un goût savant pour les objets et le mobilier, un raffinement gracieux dans l’exécution.

Jacob et les filles de Laban
Jacob et les filles de Laban, 1786-1787
Huile sur toile,
inv. 4693, MR 1728
Paris, musée du Louvre, département des Peintures

Le climat de Rome et une santé fragile accablent régulièrement le peintre de fièvres, de maux de tête, de faiblesses respiratoires. Gauffier et Drouais tombent tous deux gravement malades durant l’hiver 1787-1788. Drouais succombe le 13 février 1788, à l’âge de 24 ans, tandis que Gauffier se rétablit. Ce décès tragique bouleverse tous les pensionnaires, mais place aussi Gauffier dans une position dominante.

12 Premiers succès
13 Le Sacrifice de Manué, Louis Gauffier
14 Jacob venant trouver les filles de Laban, Gauffier
15 Cléopâtre et Octave, Louis Gauffier

Salons & Révolution

Arrivé au terme de son séjour au Palais Mancini, Gauffier regagne Paris en avril 1789. Pour la première fois, il va participer au Salon et révéler son art au public parisien. Le 24 août, la veille de l’inauguration de l’exposition, il se présente au jugement des académiciens pour rejoindre l’institution. C’est à la même époque que débute la Révolution, avec l’ouverture des États généraux le 5 mai, le serment du Jeu de Paume le 20 juin, la prise de la Bastille le 14 juillet et l’abolition des privilèges le 4 août. La noblesse, cliente habituelle des artistes, fuit Paris et émigre à l’étranger. Cet effondrement de la commande convainc Gauffier de retourner à Rome en décembre : il ne regagnera jamais la France. Le peintre s’était également lié à une jeune fille appartenant à une famille française installée en Italie, Pauline Châtillon, qu’il avait formée à la peinture, et qu’il épouse en avril 1790.

La Générosité des femmes romaines
La Générosité des femmes romaines, 1790
Huile sur toile,
inv. D949.2.1
Poitiers, musée Sainte-Croix

Durant la Révolution, les débats politiques et les valeurs collectives sollicitent la culture antique, à commencer par l’histoire de la République romaine. Le 7 septembre 1789, une délégation de femmes artistes, d’épouses de peintres et de sculpteurs, mesdames David, Suvée, Lagrenée, Vien, etc., se rendent à Versailles pour offrir leurs bijoux à l’Assemblée nationale et contribuer au renflouement de la dette publique. Ces « citoyennes vertueuses » rejouaient un épisode de l’histoire antique, au cours duquel les femmes romaines offrirent leur parure à la République. Attentif à cette actualité, Gauffier peignit La Générosité des femmes romaines qu’il fit exposer au Salon de 1791. Le dévouement civique et les vertus exemplaires de l’Antiquité que les artistes avaient illustrés dès les années 1780 rejoignaient l’actualité politique la plus brûlante.

16 Salons & Révolution
17 La Générosité des femmes romaines, Louis Gauffier

Sentimentalisme

Pygmalion et Galatée
Louis Gauffier
Pygmalion et Galatée, 1797
Huile sur toile,
inv. 1979.546
Manchester, Manchester Art Gallery Purchased with the assistance of the National Art Collections Fund

« Peu habitué à peindre le grand » selon le mot de Lagrenée, Gauffier a toujours favorisé les œuvres de petit format, dédiées à une clientèle d’amateurs privés. Qu’elles soient peintes sur toile ou sur panneau de bois, ces petites peintures révèlent son habileté de miniaturiste, sa manière fine et son goût délicat. Ces tableaux se distinguent des compositions monumentales peintes par David, par ses émules et ses élèves. Elles témoignent d’un penchant particulier pour le registre tendre et amoureux : la préciosité du sentiment répond à la préciosité du pinceau.

Son répertoire ne se réduit pas aux drames de l’histoire grecque ou romaine. Gauffier apprécie les mythologies amoureuses d’Ovide, le poète latin des Métamorphoses. Il puise dans la Jérusalem délivrée, l’épopée du Tasse (1544-1595), écrivain italien de la Renaissance, qui multiplie dans un Moyen Âge fabuleux les récits courtois autour de la première croisade. Les idylles et les pastorales du Suisse Salomon Gessner (1730-1788), précurseur de Jean-Jacques Rousseau, lui inspirent des sujets nouveaux. Les méditations de Bernardin de Saint-Pierre (1737-1814), son regard contemplatif sur la nature, éveillent chez Gauffier un intérêt pour l’allégorie. Toutes ces inspirations littéraires contribuent à définir un art doux et sensible, tendre et sincère.

L'Oiseau volé
Pauline Gauffier
L’Oiseau volé, Vers 1790-1800
Huile sur toile,
inv. 2021.37.1
Musée Fabre

L’épouse de Louis, Pauline Gauffier, se spécialise quant à elle dans la scène de genre. Son œuvre, encore très méconnu, illustre des figures du petit peuple de Rome en costume traditionnel. Derrière un ton en apparence prosaïque, ses sujets mêlent toujours la nostalgie de la vie simple à la leçon morale.

18 Sentimentalisme
19 L’Amour mène le premier navigateur à la cabane de Sémire et Mélide , Louis Gauffier
20 Vénus présentant Adonis et l’Amour à Diane, Louis Gauffier
21 Pygmalion et Galatée, Louis Gauffier
22 L’Oiseau volé, Pauline Gauffier

Thomas Hope, client anticomane

De tous les clients de Gauffier, le plus fidèle est sans conteste Thomas Hope (1769-1831). Issu d’une dynastie de banquiers écossais établie aux Pays-Bas, Hope est l’héritier d’une famille de grands amateurs d’art. Indifférent aux affaires, le jeune homme mène de 1787 à 1798 de multiples voyages à travers l’Europe et la Méditerranée qui le conduisent non seulement en Italie, mais aussi en Grèce, en Anatolie et en Égypte, trois contrées alors difficilement accessibles et peu visitées. Il y achète une multitude d’œuvres d’art, des sculptures grecques et romaines, des momies et des vases canopes égyptiens ainsi que des tableaux de grands maîtres et des peintures d’artistes vivants.

Le repos de la sainte Famille en Egypte
Louis Gauffier
Le repos de la sainte Famille en Egypte, 1792
Huile sur toile, 80 cm × 115 cm
inv. 975.1.1
Musée de la ville de Poitiers et de la société des antiquaires de L’Ouest

C’est à Rome au début des année 1790, que Hope fait la connaissance de Gauffier, auquel il commande successivement six tableaux. Le peintre lui transmit sans doute son intérêt pour le décor, le mobilier et les accessoires antiquisants, ainsi que sa curiosité, au-delà de la Rome antique, pour la Grèce ancienne et pour l’Égypte pharaonique.

{The Egyptian Room, Household Furniture & Interior Decoration}, Thomas Hope, Londres, 1807
The Egyptian Room, Household Furniture & Interior Decoration, Thomas Hope, Londres, 1807

En 1799, Hope se fixe à Londres et acquiert à Duchess Street une demeure qu’il réaménage entièrement. Chaque pièce, conçue par ses soins, est parée d’un décor singulier propre à exposer les différents pans de sa collection. Cette section évoque la plus célèbre d’entre elles, l’Egyptian Room, qui accueillait les peintures de Gauffier. En véritable designer, Hope s’inspire d’objets inventés par le peintre dans ses tableaux pour concevoir des pièces d’orfèvrerie et de mobilier. Son désir de réformer le goût contribua largement à définir en Angleterre le style Regency au début du XIXe siècle.

23 Thomas Hope

La peinture en Plein air

Vue sur la vallée de l'Arno à Florence
Louis Gauffier
Vue sur la vallée de l’Arno à Florence, 1795
Huile sur toile, 82 cm × 110 cm
Etude d'arbres
Louis Gauffier
Etude d’arbres, 18e siècle
Huile sur papier marouflé sur bois, 30 cm × 23 cm
825.1.235
Musée Fabre Don François-Xavier Fabre, 1825

Dès le début de son séjour à l’Académie de France à Rome et tout au long de sa carrière, Gauffier n’a de cesse d’étudier la nature et de se former au paysage. En se plaçant à sa fenêtre, il a tout le loisir d’observer les inflexions de la lumière aux différentes heures du jour. À l’occasion d’excursions de plusieurs semaines dans la campagne romaine, à Tivoli ou dans les monts Albains, le peintre installe son chevalet en plein air. Au contact direct de la nature, il déploie un regard presque scientifique sur la forme d’une feuille, la surface d’une écorce, la couleur d’une frondaison.

Le lauréat du prix de Rome, pourtant promis aux grands sujets bibliques, mythologiques ou historiques, manifeste dès ses premières toiles un attrait particulier pour le paysage, fruit de longues études. Cette pratique a sans doute mis Gauffier au contact d’artistes de formation différente et d’autres nationalités, plus sensibles aux beautés de la nature qu’aux drames de l’Antiquité : le Français Bidauld, l’Allemand Hackert ou le Suisse Sablet notamment.

Ces études n’ont jamais eu vocation à être commercialisées, ni même montrées. Elles constituent le répertoire personnel de l’artiste, un ensemble de motifs à sa disposition pour composer des œuvres plus complexes dans l’atelier. Elles culminent dans le premier paysage autonome conçu par Gauffier, une Vue de Florence peinte en 1795 à la suite de son installation dans la capitale toscane, deux ans plus tôt.

24 La peinture en plein air
25 Paysage avec des bâtiments au premier plan, Louis Gauffier
26 Étude de deux troncs d’arbre, eucalyptus et pin parasol, Louis Gauffier
27 Paysage de la campagne romaine, Louis Gauffier
28 Vue sur la vallée de l’Arno à Florence, Louis Gauffier

Portraitiste du Grand tour

Portrait de lady Holland avec son fils
Louis Gauffier
Portrait de lady Holland avec son fils, 1794
Huile sur toile, 54 cm × 43 cm
62.1.1
Musée Fabre Achat de la Ville, 1962

Le durcissement de la Révolution suscite à Rome la suspicion à l’égard des Français, culminant dans deux violentes émeutes en janvier et février 1793. Louis et Pauline Gauffier sont contraints de fuir et s’établissent à Florence, accompagnés de Gagneraux, de Sablet et du lauréat du grand prix de 1787, François-Xavier Fabre. Coupé de son pays, considéré comme émigré et traître à sa patrie, Gauffier aborde un tournant dans sa carrière : promis à de grandes commandes de l’État, il est désormais en affaire avec des voyageurs venus de toute l’Europe et engagés dans leur Grand Tour de l’Italie ; spécialisé dans la peinture d’histoire, il devient le portraitiste attitré de cette clientèle cosmopolite.

Alors que l’Europe entre en guerre contre la France, la Toscane restée neutre demeure une destination paisible pour ces voyageurs. Tout au long du xviiie siècle, le voyage en Italie était devenu un passage obligé dans la vie de cette élite, majoritairement britannique. Durant ce long séjour, ces « touristes » découvrent les ruines et monuments antiques, se constituent une collection, se retrouvent dans les bals et les salons. L’éloignement du pays d’origine est l’occasion d’achever sa formation intellectuelle, mais favorise aussi les nouvelles rencontres voire les passions amoureuses.

Onze réductions de portraits
Louis Gauffier
Onze réductions de portraits, Vers  1790 - 1801
Huile sur toile, 35 cm × 47 cm
876.3.34
Musée Fabre Legs Alfred Bruyas, 1876

Gauffier est le témoin privilégié de cette sociabilité. Pour cette clientèle soucieuse de garder le souvenir de son voyage, il élabore une formule originale de portraits, inspirée de Jacques Sablet et de la peinture anglaise : les modèles apparaissent en pied, dans des tableaux intimistes de petit format. Dans un savant mélange d’élégance et de décontraction, ils posent dans des paysages illustrant les monuments de Florence, le Palazzo Vecchio et le dôme de Brunelleschi. François-Xavier Fabre, bien qu’élève de David, subit pleinement l’influence de son camarade et s’adapte à ses formules novatrices.

29 Portraitiste du Grand tour
30 Portrait de Lady Holland et son fils, Louis Gauffier
31 Portrait de Lord Godefrey Webster, Louis Gauffier
32 Buste de Henry Vassal-Fox, Joseph Nollekens
33 Portrait du Baron Gustaf Mauritz Armfelt à Florence, Louis Gauffier
34 Portrait du prince de Sussex, Louis Gauffier

Les Français à Florence

Portrait de Joseph-Antoine-Jean-Paul de Saint-Cricq dit Joseph Saint-Cricq
Louis Gauffier
Portrait de Joseph-Antoine-Jean-Paul de Saint-Cricq dit Joseph Saint-Cricq, 1801
Huile sur toile,
Paris, Musée Marmottan Monet

À partir de 1794, la République française est victorieuse sur tous les fronts. La campagne d’Italie, menée par le jeune général Bonaparte de 1796 à 1797, provoque le départ précipité des voyageurs du Grand Tour et l’arrivée des Français à Florence. Occupée en 1799 puis en 1800, la Toscane est peu à peu satellisée par la France. Gauffier renoue avec ses compatriotes, diplomates, officiers et administrateurs, soucieux de se faire portraiturer et de garder la mémoire de leur mission ou de leur campagne en Italie. Avec habileté, le peintre élimine toute forme de rigueur militaire et propose une synthèse séduisante entre la traditionnelle décontraction du Grand Tourist et l’élégance chamarrée des uniformes révolutionnaires. Gauffier s’essaye aussi au genre typiquement anglais de la Conversation piece, ces « tableaux de conversation », mettant en scène plusieurs personnages dans des attitudes naturelles et illustrant les valeurs familiales.

La maladie pulmonaire qui minait depuis longtemps la santé de Louis et de Pauline Gauffier prend de l’ampleur en 1801. À peine a-t-il le temps de terminer son ultime portrait, représentant le général Dumas, officier né aux Antilles et père du romancier Alexandre Dumas. Pauline décède en juillet, suivie en octobre par son mari, accablé de chagrin, laissant deux enfants orphelins, Louis et Faustine. Les peintres Desmarais et Mérimée ainsi que le sculpteur Chaudet organisent la vente à Paris au profit des deux enfants, des tableaux restés dans l’atelier, tandis que François- Xavier Fabre recueille des peintures et dessins de son ami. Il les offrira, en 1825, au musée de Montpellier, sa ville natale garantissant ainsi le souvenir de Gauffier.

35 Les Français à Florence
36 La Famille Miot, Louis Gauffier
37 Portrait d’Alexandre Marie Gosselin de Sainct-Même, consul Général de France auprès du royaume des deux Sicile, avec sa famille, Louis Gauffier
38 Portrait du général Thomas Alexandre Dumas, Louis Gauffier

Une journée à Vallombrosa

Le décès de Gauffier à l’âge de 39 ans met brutalement fin à une carrière en pleine évolution, notamment dans l’art du paysage. Les quatre tableaux de l’abbaye de Vallombrosa, peints en 1797, en sont l’exemple abouti et plein de promesses. L’abbaye, fondée en 1038 au cœur d’une forêt de hêtres et de conifères, au creux des Apennins, était devenue une étape bien connue des itinéraires de voyage. Remaniée en 1637, l’abbaye avait conservé un aspect monumental, comme une forteresse au cœur d’une nature souveraine. À la suite d’une commande dont on ignore encore l’origine, le peintre s’était rendu en août 1796 sur ce site, à trente kilomètres de Florence. À la différence de la tradition du paysage historique où la nature sert d’écrin à la narration d’un récit mythologique, Gauffier réalise, quatre « portraits » d’un lieu réel.

Louis Gauffier
Le Couvent de Vallombrosa et la vallée de l’Arno vus du Paradisino, 1798

La préservation de toutes les études exécutées durant son séjour permet de suivre sa démarche avec une remarquable précision. C’est moins l’architecture du bâtiment que les beautés du site qui intéressent Gauffier. Le peintre retient quatre points de vue : à chaque fois, il dessine sur une grande feuille où, comme un géomètre, il analyse chaque plan du site, chaque essence d’arbre, chaque feuillage. Une peinture sur une petite toile, exécutée en quelques minutes, permet de conserver le souvenir de la lumière et des couleurs.

Louis Gauffier
L’Adieu aux moines de Vallombrosa, 1797

De retour à Florence, c’est au sein de l’atelier, à l’aide de ses études, que Gauffier compose les quatre grands tableaux. Les points de vue deviennent le cadre d’un récit se déroulant sur une journée : la visite de deux voyageurs élégants guidés par les moines de l’abbaye. Cette narration classique, fondée sur une unité de temps, de lieu et de sujet, est ennoblie par des libertés prises avec les études. Pour atteindre une beauté idéale, le peintre simplifie ses compositions et propose une synthèse magistrale entre les grandes masses géométriques du site et une attention minutieuse à la nature. Ce regard est magnifié par une science éblouissante de la lumière, qui parvient à suggérer le passage des heures, jusqu’à l’adieu final, avant le crépuscule.

La Vue de Vallombreuse, abbaye des Apennins
Louis Gauffier
La Vue de Vallombreuse, abbaye des Apennins, 1797
Huile sur toile, 84 cm × 116 cm
2008.1.1
Musée Fabre Achat de la Communauté d’Agglomération avec le soutien du Fonds du Patrimoine et du FRAM Languedoc-Roussillon, 2008

À la veille du romantisme, Gauffier faisait du paysage le reflet d’un état d’âme, le souvenir d’une visite mémorable teintée de nostalgie. Cette sensibilité sera promise à un immense avenir, pour tout le XIXe siècle. C’est la première fois depuis la mort du peintre, il y a plus de 200 ans, que les quatre toiles de Vallombrosa, les chefs d’œuvres de Gauffier, sont réunies à toutes leurs esquisses et leurs études.

39 Une journée à Vallombrosa
40 L’Abbaye de Vallombrosa et le val d’Arno vus du Paradisino (esquisse), Louis Gauffier
41 La Vue de Vallombreuse, abbaye des Apennins, Louis Gauffier
42 Vue des cascades de Vallombrosa, Louis Gauffier
43 Le Couvent de Vallombrosa et la vallée de l’Arno vus du Paradisino, Louis Gauffier
44 L’Adieu aux moines de Vallombrosa, Louis Gauffier
45 Portrait de Francesco Fornacciari, ermite à Vallombrosa, François-Xavier Fabre