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Le Réalisme

Cette image représente une scène poignante dans un intérieur sobre. On y voit deux femmes, l'une accroupie et l'autre assise, qui semblent partager un moment d'intense émotion. La femme assise, avec un regard préoccupé, est réconfortée par la jeune femme qui repose sa tête sur ses genoux. L'éclairage tamisé venant d'une fenêtre crée une atmosphère mélancolique, accentuant le sentiment de tristesse et de vulnérabilité. Des détails comme des objets sur une table et une faible lueur de feu ajoutent à la profondeur de la scène, évoquant une histoire de soutien et de compassion entre les deux protagonistes.
Nicolas François Octave Tassaert
Une famille malheureuse, le suicide, 1852
Huile sur toile, 46 cm × 38 cm
868.1.80
Musée Fabre Don Alfred Bruyas, 1868

La confrontation avec le réel est une donnée fondamentale de l’histoire de l’art depuis ses origines. On peut parler d’une tradition réaliste qui parcourt l’histoire de l’art, d’une permanence qui se signale à certaines époques et dans certains pays. Toutefois, il faut attendre le milieu du XIXe siècle et la Révolution de 1848 pour entendre parler d’un mouvement réaliste en peinture.

Des écrivains tels que Lamennais, Michelet, Auguste Comte, exhortent les artistes à sortir de leur isolement. L’heure de l’esprit scientifique a sonné. Les bases sûres pour le peintre sont les données du regard.

Nicolas François Octave Tassaert
Suicide (esquisse), Vers 1848
Huile sur toile, 40 cm × 28 cm
868.1.81
Musée Fabre Don Alfred Bruyas, 1868

Le Réalisme revendique une réalité brute et contemporaine, non édulcorée par les conventions ou les artifices. C’est aussi un « art engagé » : la réalité de 1848 est dominée par le contraste social.

En peinture, Courbet est la figure forte du mouvement, sinon l’instigateur. Son Pavillon du Réalisme, élevé en marge de l’Exposition Universelle en 1855, en est le manifeste fondateur.

Prologue au catalogue de la grande exposition de Courbet en marge de l’Exposition Universelle de 1855

« Le titre de réaliste m’a été imposé comme on a imposé aux hommes de 1830 le titre de romantiques.

Sans m’expliquer sur la justesse plus ou moins grande d’une qualification que nul, il faut l’espérer, n’est tenu de bien comprendre, je me bornerai à quelques mots de développement pour couper court aux malentendus.

J’ai étudié en dehors de tout esprit de système et sans parti pris, l’art des anciens et l’art des modernes. Je n’ai pas plus voulu imiter les uns que copier les autres ; ma pensée n’a pas été davantage d’arriver au but oiseux de l’art pour l’art.

Non ! J’ai voulu tout simplement puiser dans l’entière connaissance la tradition le sentiment raisonné et indépendant de ma propre individualité.

Savoir pour pouvoir, telle fut ma pensée. Être à même de traduire les mœurs, les idées, l’aspect de mon époque, selon mon appréciation, être non seulement un peintre, mais encore un homme, en un mot, faire de l’art vivant, tel est mon but. »

Gustave Courbet

Millet et Daumier sont les grandes figures que l’on associe généralement au mouvement, bien que dans des registres différents : le premier, dont l’humanisme à la dimension intemporelle traduit un profond attachement au monde paysan ; le second, satirique dans ses caricatures politiques, ou dénonçant la misère de ses contemporains, situe sa peinture dans un cadre exclusivement urbain.

Le mouvement s’organise autour du théoricien Champfleury, littérateur et critique d’art, en un groupe hétéroclite qui se retrouve à Paris à la brasserie Andler. Dans ses écrits, un ouvrage et une revue en 1857 (sept numéros seulement), Champfleury ressuscite les peintres de la réalité, la peinture des frères Le Nain, originaires de Laon comme lui, l’imagerie populaire, le folklore des provinces.

La Mort d'une soeur de charité
La Mort d’une soeur de charité
Isidore Pils, 1850
Peinture à l’huile, 305 x 241 cm
Inv. D 2001 1
Toulouse, musée des Augustins

Malgré leurs divergences, les acteurs du groupe se fédèrent contre le romantisme, l’art officiel, la bourgeoisie, et à l’instar de Proudhon, qui publie en 1865 Du principe de l’art et de sa destination sociale, se réclament du peuple. La « mission sociale de l’art », l’ambition de peindre le monde contemporain, l’amour de la vérité et du concret, se substituent au carcan de la tradition académique et à la philosophie de « l’art pour l’art » des romantiques, défendue par Baudelaire. Ce dernier dénonce dans la peinture réaliste « le danger du goût exclusif du vrai qui étouffe le goût du Beau ».

Cette image montre deux femmes vêtues de robes sombres et de bonnets blancs, assises côte à côte. Elles ont l'air absorbées par leur lecture, tenant chacune un livre dans les mains. L'arrière-plan présente un intérieur sobre, avec des arches qui suggèrent un lieu calme et peut-être religieux. On aperçoit d'autres femmes au loin, également engagées dans la lecture. L'atmosphère de l'œuvre semble contemplative et sereine.
François Bonvin
Au banc des pauvres - Souvenir de Bretagne, 1864
Huile sur toile, 55 cm × 38 cm
868.1.2
Musée Fabre Don Alfred Bruyas, 1868

Toutefois le Réalisme est aussi le fait de tout un ensemble de petits maîtres qui se complaisent dans une peinture d’un misérabilisme assez conventionnel, tels A. Antigna, I. Pils, O. Tassaert… Bien qu’attentifs aux malaises de leur époque, ils se bornent à des scènes de la vie contemporaine, anecdotiques, produisant une peinture « convenable », souvent commanditée par l’État. Il en est ainsi d’Une famille malheureuse (O. Tassaert), ou de La mort d’une sœur de charité (I. Pils, musée des Augustins, Toulouse) qui inspire à A. de Callone : « Il cherche le beau, même sous les haillons, et il a le bonheur de croire que, dans la nature, tout n’est pas laideur et difformité ». D’autres peintres tels A. Bonhomé, A. Leleux, J. Breton (Le rappel des glaneuses, musée d’Orsay), A. Legros (L’ex-voto, musée de Dijon), F. Bonvin (Au banc des pauvres, souvenir de Bretagne, 1864) ou R. Bonheur (Le labourage nivernais, musée National de Fontainebleau) progressent dans la voie du naturalisme ou s’attachent à décrire les scènes rustiques des mœurs de province.

Ce réalisme de « convention » ne répond pas aux convictions provocatrices et aux exigences de sincérité de Courbet, dont l’œuvre est constamment accusée de vulgarité et de grossièreté et à qui l’on reproche « d’encanailler l’art ».

Un enterrement à Ornans
Un enterrement à Ornans
Gustave Courbet, 1849
Huile sur toile, 3,15 x 6,68 m.
Inv. RF325
Paris, musée d’Orsay.

Ses défenseurs reconnaîtront pourtant qu’il impose un art nouveau, « sérieux et convaincu, ironique et brutal, sincère et plein de poésie » (Champfleury).

Portrait de Courbet en gravure sur soleil rayonnant
Portrait de Courbet en gravure sur soleil rayonnant
Gilbert Randon, 1867
in Le Journal Amusant, BNF, Paris
Montpellier, musée Fabre

En effet, pour Courbet, tout est bon à peindre, sans hiérarchie ; ne reconnaissant pour maître que la nature, il embrasse la création dans son ensemble, passant d’un genre à l’autre avec une grande liberté et un enthousiasme fécond. Ce lyrisme, cet amour charnel pour le visible conduisent Courbet à libérer sa technique, au travers de la matière qu’il façonne au couteau, pour traduire ses émotions les plus profondes.

Ainsi, porte-drapeau d’un mouvement qu’il a lui-même décrété, n’en est-il pas l’unique représentant, tant sa personnalité est débordante, son indépendance et son individualisme affirmés ?