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La ville et son université

Portrait de Thomas Platter le jeune, gravure (1628)
Portrait de Thomas Platter le jeune, gravure (1628)
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En 1595, un jeune suisse allemand du nom de Thomas Platter (1574-1628) s’installe à Montpellier pour étudier la médecine dans sa célèbre faculté. Il rédige un journal de voyage rempli d’anecdotes sur la vie quotidienne à Montpellier à la fin du XVIe siècle. Le Montpellier de la Renaissance est une petite ville d’une dizaine de milliers d’habitants, tranquille cité administrative avec ses cours royales de justice et ses bureaux de finance, devenue également siège de l’évêché de Maguelone en 1536. Mais c’est surtout une capitale européenne de la culture avec ses savants humanistes (tel l’évêque Guillaume Pellicier), ses riches librairies (le roi François Ier y signe en 1537 l’édit qui instaure le dépôt légal des imprimés) et son prestigieux Collège Royal de médecine qui attire les étudiants étrangers comme Platter. Thomas Platter fait ici le récit de son arrivée à Montpellier. Il décrit la ville et son université avec ses professeurs, dont un certain Richer de Belleval qui vient de fonder le Jardin des Plantes en 1593.

Montpellier

C’est une belle ville, bien bâtie, située en Languedoc ; je n’ai pas vu sa pareille en France, surtout s’agissant des maisons qui pour la plupart d’entre elles sont construites en grandes pierres de taille équarries, et ornées de salles superbes, hautes... Par ailleurs, les rues y sont étroites à cause de la canicule, de façon que les rayons du soleil ne touchent pas le sol, si ce n’est à midi. En été, les gens habitent d’ordinaire dans les pièces du rez-de-chaussée  ; on asperge celles-ci fréquemment avec de l’eau, on arrose aussi plusieurs rues de la même manière, pour que tout cela soit d’autant plus frais.

Il n’y a dans cette ville qu’une seule fontaine, jaillissante, devant la porte du Pyla-Saint-Gely […] Qui plus est, il y a en ville beaucoup de bons puits, tant dans les rues qu’à l’intérieur des maisons […]

La ville est située sur une colline, sur une « montagne » même : de là vient peut-être qu’on l’appelle Monspessulanus, Monspelium, ou Montpellier. […] Elle est construite en ovale, en forme d’œuf allongé ; elle n’est pas particulièrement fortifiée. Elle est seulement cernée d’un mur d’enceinte en pierre de taille, et de douves maçonnées. Et puis, en peu d’années, on a bâti près des portes de la ville plusieurs bastions ou éperons : ainsi est-elle, pour portion d’elle-même, mieux protégée. Elle est aujourd’hui très différente de ce qu’elle était il y a cinquante ans. […]

Il y a aussi à Montpellier une université considérable, imposante, renommée au loin. Elle a été érigée par le roi Henri [!] de France et par le pape Urbain, en toutes les facultés, mais plus spécialement la faculté de médecine ; celle-ci surpasse, et de loin, toutes les autres dans la France entière. […] En effet il y a là, d’ordinaire, en médecine, plus de cent étudiants étrangers, à cause des bonnes opportunités qu’on a d’y progresser dans cet art. Et cela, à cause des professeurs eux-mêmes, et en raison de la possibilité qu’ont les étudiants d’accompagner les docteurs dans leurs visites aux maisons des malades. On peut ainsi voir et entendre ce qui leur manque [aux malades] ; on peut prendre connaissance de ce qui leur est prescrit, et l’effet de tels remèdes ; et puis c’est un grand honneur pour les docteurs que de traverser les rues accompagnés de nombreux étudiants. […]

Pendant mon séjour montpelliérain fut encore nommé un nouveau professeur : c’était le docteur Richer ; il devait enseigner l’anatomie et l’herboristerie ; en été, il emmenait les étudiants maintes fois en promenade afin d’herboriser, herbatum. En outre, il a créé à grands frais, au nom du roi, un jardin supérieurement important près de la ville de Montpellier ; il y plante chaque jour beaucoup de végétaux étrangers, venus de tous les pays ; il vise ainsi à perfectionner d’autant mieux les connaissances estudiantines en fait de botanique internationale. En hiver, il procède à des séances de dissection, à des leçons d’anatomie. Quand on ne peut pas lui donner les corps suppliciés des malfaiteurs, on lui fournit les cadavres de personnes qui sont mortes à l’hôpital. Il y a pour ça un theatrum anatomicum dans le collegium des médecins : c’est un local construit en gradins de pierre afin que tous les spectateurs puissent bien voir les dissections.

Edition/traduction : Emmanuel Le Roy Ladurie et Francine-Dominique Liechtenhan, Le Siècle des Platter, Paris, Fayard, t. II, Le voyage de Thomas Platter, 2000, p. 108-111.