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La vie quotidienne à Montpellier durant le siège

Résister, soutenir le siège, face à un ennemi supérieur en nombre et en moyens. Tel est le défi que doivent relever les Montpelliérains. Soldats et civils sont mobilisés ensemble dans ce combat à la fois militaire et spirituel. On ressent cette ferveur religieuse à la lecture des Mémoires ou Journal du siège de Montpellier rédigées par un Montpelliérain anonyme, sans soute un notable huguenot, « pour donner à la posterité comme dans un journal les choses les plus remarquables qui s’y sont passées, soit dedans, soit dehors, selon la cognoissance qu’on en pouvoit avoir dans la ville ou par des prisonniers ou par autre advis ». Car plus que la défense de Montpellier, c’est la défense de la foi protestante qui est l’enjeu de la bataille. Selon notre chroniqueur, « soubz pretexte d’une imaginaire rebellion, [les ennemis de l’eglize] attacquoyent la Religion, violloyent la foy publicque, les edits et les traittéz ».

Détail du plan du Siège de Montpellier par Villaret
Détail du plan du Siège de Montpellier par Villaret

Durant un mois, les Montpelliérains vivent au rythme des coups de canons. Enfermés derrière une extraordinaire succession de murs et de fossés qui provoque « l’étonnement » des assiégeants, ils n’ont rien à craindre des quelque 10 000 boulets tirés par les batteries royales, dont notre chroniqueur anonyme fait le décompte journalier. Aux 2000 hommes d’armes recrutés péniblement en Languedoc, Rohan a adjoint trois régiments formés d’habitants de la ville. Ce sont environ 4000 soldats à nourrir, armer et soigner quotidiennement, dans des conditions sanitaires de plus en plus précaires. Toute l’attention, l’énergie de la population de Montpellier sont alors portées en direction des fortifications.

Être soldat au Pila-Saint-Gély

Les troupes royales décident rapidement de concentrer leurs efforts sur le côté nord, le long du Verdanson, entre la porte des Carmes (place Albert Ier) et la porte du Pila-Saint-Gély. Face à elles, les formidables fortifications de d’Argencour : le bastion des Tuileries (appelé aussi Bastion blanc ou des Carmes – n°1), le bastion de Calonge (appelé aussi Bastion noir ou de la Blanquerie – n°2) et entre les deux la demi-lune d’Argencour (ouvrage avancé protégeant la courtine – n°14). L’ensemble est traversé de part en part par le Verdanson, constituant une protection naturelle. Devant ces constructions, se trouvent un fossé et une ligne de terrassements dentelés appelés cornes, rendant l’enceinte quasiment imprenable. Les assiégeants préparent leur assaut d’une part en creusant des tranchées jusqu’au bord des ouvrages de défense, et d’autre part en positionnant le plus près possible des batteries de canons protégées par des gabions et barriques remplis de terre.

Plan du siège de Montpellier en 1622, détail, gravure (1737)
Plan du siège de Montpellier en 1622, détail, gravure (1737)
Montpellier Méditerranée Métropole - Médiathèque centrale Emile Zola, EstL0070

Du côté des assiégés, les soldats positionnés sur ces bastions se retrouvent en première ligne. Les combats sont rudes, de jour comme de nuit, l’inquiétude permanente, subissant de surcroît les caprices du Verdanson qui inonde les parties basses, comme en témoigne le Journal du siège. On conserve un livre de compte journalier (72 fol.) de la poudre, balles et mèches distribuées à la porte du Pila-Saint-Gély entre le 27 août et le 8 octobre 1622 aux sergents des capitaines huguenots, sous le contrôle de Pierre de Conty d’Argencour. Les distributions vont croissant à mesure que s’intensifient les canonnades (par exemple 165 livres de poudre le 18 septembre), jusqu’au « grand combat » du 2 octobre, point culminant du siège (550 livres de poudre ce jour-là). À titre de comparaison, la somme dépensée en munitions pendant 43 jours s’élève au total à 9 048 livres de poudre, 7 796 livres de balles et 5 560 livres de mèche.

Cahier des munitions avec billet manuscrit de d'Argencour daté du 27 août 1622
Cahier des munitions avec billet manuscrit de d’Argencour daté du 27 août 1622
AMM, EE 928, fol. 1
Boulet de canon du siège découvert au bas de la Grand-Rue-Jean-Moulin en 1952
Boulet de canon du siège découvert au bas de la Grand-Rue-Jean-Moulin en 1952
Musée du Vieux Montpellier, D2012.1.39

Sur la minuit du mesme jour 13e [septembre], les assiégeants tirèrent quatre coups de canon à la redoute et aussitost après vindrent à l’assaut. Ils avoient fait un gros de 4000 hommes de pied et 500 maistres dont il y en eut 100 qui mirent pied à terre et ceux-là avec les chefs ou volontaires faisoient 200 cuirasses. Les autres 400 maistres demeuroient à cheval pour soustenir. Ils attaquèrent hardiment et ceux qui gardoient la redoute soustindrent assez courageusement le premier choc. Mais, ou les coups de canon ou les grenades qu’on jetoit donnèrent enfin l’espouvante à ceux de la ville qui se voyant environnés de tous cotés après la première descharge des mousquetaires, quittèrent la redoute et se retirèrent à la contrescarpe où M. Mestre accompagné de quelques volontaires estant survenu rassura les soldats et les fit tirer fort à propos sur les ennemis.

Cependant le canon foudroyoit incessamment contre la porte du Pila Saint Gely où on voyait de la clarté et contre les corps de garde de la muraille et quelques coups à Saint-Denis. On tira durant tout le combat qui dura une grosse heure 40 coups de canon, après lesquels la mousqueterie cessa et les assiégés se tindrent dans le bastion et la contrescarpe où les capitaines Ranc et Lasgraves soustindrent courageusement le combat duquel ils emportèrent de glorieuses blessures. Celles du dernier furent funestes car il moureut sept jours après d’une mousquetade qu’il receut au bras gauche. De morts sur la place, il n’eut que sept ou huit soldats et quelques prisonniers. Il fut tué des ennemis quatre-vingt ou cent, presque tous gens de qualité, et entre autres le sieur de Taraux, le sieur de Mérindol, le chevalier de Laguse avec plusieurs gentilshommes et chevaux legers du Roy.

Extrait du Journal du Siège, Montpellier Méditerranée Métropole - Médiathèque centrale Emile Zola, ms. 79, p. 21.

Le jeudy 15e [septembre] au poinct du jour, la batterie recommença chaudement contre la porte du Pila Saint Gély, dans la ville et contre la muraille. Le sieur d’Argencour estant allé desjuner près du corps de garde de ladite porte avec le sieur de La Tour qui y commandoit, un coup de canon emporta la table, cassa la bouteille et le verre et ne fit mal à personne sinon à la servante qui donnoit à boire, qui eut le bras blessé d’un esclat.

Extrait du Journal du Siège, Montpellier Méditerranée Métropole - Médiathèque centrale Emile Zola, ms. 79, p. 21.

Le sabmedy 24e [septembre], les assiégés commencèrent une mine dans la demy-lune afin de desloger les ennemys qui s’estoient fort rapprochez. […] Les assiégés avoient ceste nuit résolu d’aller forcer les tranchées qui estoient sur la contrescarpe du bastion des Tuileries, mais l’ordre fut rompu sur l’advis qu’on eut que les ennemis vouloient donner un assaut ceste mesme nuit. […] Sur les deux ou trois heures avant le jour, on entendit 22 coups de canon tirez de suite ; en mesme temps les trompettes sonnèrent la charge et les ennemys se présentèrent pour donner l’assaut à la demy-lune, mais voyant la résolution de ceux qui les attendoient et l’adresse des mousquetades que le capitaine Atger, étant ceste nuict-là de garde à la demy-lune, faisoit tirer fort à propos et aveq grande perte de ceux qui s’avançoient trop, ils se retirèrent après s’estre presentez trois fois pour donner et se contentèrent d’avoir jeté quelques grenades qui n’endommagèrent personne. On n’a pu sçavoir le nombre ni la qualité de ceux qui moururent en ceste attaque, mais il est aisé à juger qu’il y en eut beaucoup de tués, parce que les assiégés ne tiroient qu’à brusle pourpoinct et avoient moyen de les choisir à la blancheur des chemises qu’ils portoient pour signal sur les armes. Le canon joua furieusement tout le reste de la nuict et furent tirez ou nuict ou jour 279 coups de canon.

Extrait du Journal du Siège, Montpellier Méditerranée Métropole - Médiathèque centrale Emile Zola, ms. 79, p. 24.

Le jeudi 29 [septembre] le canon fut furieux tout le jour et tira 324 coups au bastion des Tuileries battu par les deux espaules et par la pointe. On vit le matin une nouvelle batterie dressée entre la grande batterie du Roy et celle de M. de Montmorency composée de 5 canons.

L’après-dinée, M. d’Argencour ayant descouvert une mine que les ennemis faisoient un peu au-dessus de la sienne, fit jouer un pétard qui donna dans celle des ennemis, la creva et brula. On tua ceux qui y travailloient. Depuis que la mine fut percée, on tenoit de chasque costé une sentinelle avec une rondache et un pistolet.

Toute la nuict suivante, il plut impétueusement, le ruisseau du Merdanson desborda et ruyna les tranchées proche de son canal, où quelques soldats se noyèrent.

Le vendredy, dernier de septembre, la pluye ayant cessé sur les six heures du matin, chacun de son costé travailla à réparer le mal que les inondations avoient faict ; force coups de canon et mousquetades de part et d’autre de Saint-Pierre ou des Carmes ; ceux de dedans tuèrent plus de 70 hommes dans les tranchées ; ils tiraient aux mieux vestus qu’ils pouvoient choisir à son haut ; les ennemis voyant les incommoditez qu’ils en recepvoient, tiroient souvent du canon contre ces lieux-là, mais ils ne pouvoient endommager ceux qui tiroient. Tant y a que les ennemis poussèrent encore leur travail ceste nuict et malgré les mousquetades qui leur en tuèrent grand nombre en approchant, ils se trouvèrent le lendemain logez sur les fossez du bastion des Tuileries et la demy-lune qui estoit là près environnée de tous côtés de tranchées.

Extrait du Journal du Siège, Montpellier Méditerranée Métropole - Médiathèque centrale Emile Zola, ms. 79, p. 26.

Les femmes sur la brèche

Le siège n’a-t-il été qu’une affaire d’hommes ? Si l’on en croit le Journal du siège, les Montpelliéraines participèrent activement aux événements et à l’effort de guerre. Le chroniqueur anonyme cite plusieurs anecdotes s’agissant de huguenotes venant en aide aux soldats, apportant vivres et munitions, soignant les blessés, tout comme du côté catholique des servantes faisant office d’espionnes pour le compte des armées royales et châtiées pour leur traitrise par les autorités consulaires. Certaines montèrent au créneau, au sens propre du terme. Plusieurs auteurs, dont Pierre Gariel, chanoine de la cathédrale Saint-Pierre, rapportent même que « les femmes de Montpellier firent une compagnie de 120 des leurs, dont Bonneterre fut élue capitainesse » (Gariel, Discours de la guerre faite contre ceux de la R.P.R.), mais le fait n’est pas avéré. Certes, il est vrai qu’il y eut des actes de bravoure de la part de Montpelliéraines qui sont mentionnés dans le Journal du siège, mais cela reste exceptionnel. Notre chroniqueur n’hésite pas à parler d’« amazone » au sujet de l’une d’entre elles qui tua un ennemi d’un coup d’épée. À la fin du siège, elles jouèrent un rôle dans les négociations de paix et favorisèrent, toujours selon notre chroniqueur, l’heureux dénouement des hostilités.

En écho à cette assertion, la propagande royaliste, dans un pamphlet intitulé La grande division arrivée ces derniers jours entre les femmes & les filles de Montpellier, présente les femmes de Montpellier en Lysistrata s’opposant à leurs maris pour obtenir la paix. Mais ces Montpelliéraines sont dépeintes aux mœurs légères, se languissant de la compagnie des jeunes étudiants en médecine, et moins en héroïnes voulant sauver leur cité d’un destin funeste. Le texte se termine d’ailleurs en queue de poisson, avec une apparition ridicule de la « niepce du docteur Rabelais ».

  • {La grande division arrivée ces derniers jours entre les femmes & les filles de Montpellier, avec le sujet de leurs querelles} (1622),
    La grande division arrivée ces derniers jours entre les femmes & les filles de Montpellier, avec le sujet de leurs querelles (1622),
    Bibliothèque nationale de France, Gallica

[27 septembre] Le combat dura trois ou quatre heures avec des pierres et des mousquets et des grenades qu’on jetoit de part et d’autre. Ceux de dedans y perdirent quatre au cinq soldats. Le capitaine Atger et deux ou trois autres y furent blessés ; une grenade y blessa aussy deux filles. Une jeune fille âgée de 15 à 16 ans voyant un des ennemis qui montoit sur le pointe de la demie lune, print une picque et luy en donna dans le corps ; les autres achevèrent de le tuer ; des ennemis, il y en eut plus de six vingt morts ou blessés.

Extrait du Journal du siège, Montpellier Méditerranée Métropole - Médiathèque centrale Emile Zola, ms. 79, fol. 25

[2 octobre] Il ne faut pas cacher dans le silence la generosité des femmes de la ville qui accoururent en grand nombre au combat, les unes avec du vin pour rafraischir les soldats et conforter les blessés, les autres avec des pierres et quelques-unes avec des armes. Deux ou trois passèrent jusques aux tranchées des ennemis, entre autres une nommée Mourette qui fit une action d’Amazone, car ayant rencontré un homme armé de cuirasse et de pot, elle le tua avec une espée qu’elle avoit, et ne quitta le combat que deux blessures qu’elle receust à la teste et à la cuisse ne la contraignissent de se retirer. Une autre fille tua un soldat des ennemis avec sa propre dague. C’est ainsy que le zèle de la religion et le désir de conserver sa conscience libre anime les courages plus timides, et fait que les femmes mesprisent bravement la mort.

Extrait du Journal du siège, Montpellier Méditerranée Métropole - Médiathèque centrale Emile Zola, ms. 79, fol. 29

Extrait du {Journal du siège} (copie Léon Gaudin, fin XIXe s.)
Extrait du Journal du siège (copie Léon Gaudin, fin XIXe s.)
Montpellier Méditerranée Métropole - Médiathèque centrale Emile Zola, ms. 79

Le sapmedy 15e [octobre] on continua dans la mesme liberté. Nos dames sortirent de la ville et se firent voir aux ennemis. M. le duc de Retz avec plusieurs grands vindrent aux tranchées pour les voir et parler à elles. Ces entreveues n’estoyent pas inutiles, ainsi servoyent de milieu pour porter les esprits de la haine à l’amitié, et de la guerre à la paix.

Extrait du Journal du siège, Montpellier Méditerranée Métropole - Médiathèque centrale Emile Zola, ms. 79, fol. 33 (corrigé d’après le manuscrit original).

LA GRANDE DIVISION arrivée ces derniers jours entre les femmes & les filles de Montpellier. Avec le sujet de leurs querelles.

Perfide & abominable ville, qui par tes impies & damnables révoltes, penses faire teste long temps à ce grand Monarque qui te tient assiegée. C’est maintenant que tu peux recognoistre à bon droit, que tes trahisons ne te servent qu’à advancer ta ruyne, tes mutineries n’enclinent qu’à ta cheute, tes revoltes ne panchent qu’à ton renversement.

Et bien que tu sois la demeure ordinaire des medecins, tu n’en trouveras pourtant pas un si expert qui puisse remedier aux playes journalieres qu’on donne aux tiens, ny r’emplastrer les bresches que les canons du Roy font continuellement à tes bastions & murailles, ton MONT sera PILLÉ en [octo]bre, si tu le plies sous le joug de l’obeissance, les divisions qui sont parmy tes Citadins, te peuvent tesmoigner, & les desordres continuels qui sont au milieu de ton enclos en pourront porter suffisante preuve.

Dernierement que les habitans de Montpellier voulurent mettre le né au vent pour faire une sortie & qu’on leur tailla de si belles croupieres, où mesmes un de leurs principaux capitaines fust estendu sur la place, les femmes & les filles de la dite ville ayans eu le bruit de cecy, s’assemblerent en un lieu pour ensemblement desplorer leurs malheurs & abjurer la guerre, cause de tant de maux.

[…]

Car les bourgeoises de ceste ville qui ont de coustume de voir un nombre infini de jeunes golureaux qui y vont estudier en medecine, estant privées de leurs douces compaignies & des joyeux passetemps que leur entretien leur donnoit auparavant ceste revolte, jointe à une infinité de perte qu’ils ont faites depuis qu’ils se sont souslevez contre les armes de leur souverain, ne peuvent tenir les sanglots qui se crevent dans leurs bouches, ny boucher le passage aux souspirs qu’ils ressentent pour ce subjet.

Et quoy, dit une vieille chapproniere qui tenoit le haut bout en l’assemblee, serons-nous tousjours miserables ? Faut-il que nos maris soyent cause de nos malheurs ? Ne suffisoit-il jusques icy de nous avoir deschirez par lambeaux. Nous mesmes nous nous plantons le cousteau dans le sein. Nous mesmes nous courons à bride abatue à nostre mort, & semble à voir qu’il nous tarde que nous ne soyons toutes dans nostre propre ruyne ensevelies miserables & malheureuses, pour ne revoir jamais la lumiere du Ciel, faut-il, dis-je que nos maris soient tellement oublieux de leur salut & du nostre, que de se precipiter dans les hazards & dangers pour lutter contre les destins qui n’ont premidité autre chose que nostre totale perte ? Ha ! les larmes me crevent le cœur ? Les souspirs me bouchent les conduits de la parolle, les sanglots m’estouffent. Mon pauvre mary, helas ! où es tu, ou es tu ma seule consolation.

Tu m’as donc quitté pauvre & infortunée pour estre la proye du destin, tu m’as delaissée languissante pour survivre à l’esclendre, tu m’as abandonnée, helas ! pour voir ceste ville renversée de fonds en comble si elle poursuit davantage en ses revoltes.

Extrait de La grande division arrivée ces derniers jours entre les femmes & les filles de Montpellier, avec le sujet de leurs querelles (1622)

Malades et blessés

Étant donné l’intensité des combats durant au moins cinq semaines, le siège fut sans nul doute très meurtrier. Il est cependant impossible de connaître précisément le nombre exact des victimes montpelliéraines, faute de sources fiables. En effet, nous ne conservons ni de registres paroissiaux catholiques pour cette période, ni le registre des mortuaires réformés qui s’interrompt à partir du 22 août 1622 (début du siège) jusqu’en décembre ! D’un côté comme de l’autre, les protagonistes ont tendance à exagérer les pertes des adversaires. Cependant, le Journal du siège fait état globalement d’une mortalité supérieure du côté des assiégeants lors des affrontements. Le chanoine Pierre Gariel propose un bilan humain qui rend compte de cette tendance générale : « Le siège dura 48 jours, et on tira 13 000 coups de canon. Le Roi perdit 1000 hommes tués, & plus de 2000 de maladie. Les assiégés n’eurent pas 400 hommes tués, mais il en périt plus de 3000 alors ou peu de temps après de maladie ».

  • Registre des médicaments, soins aux malades et blessés, 9 août 1622
    Registre des médicaments, soins aux malades et blessés, 9 août 1622
    AMM, EE 930, fol. 14
  • Registre des médicaments, soins aux malades et blessés, 13 et 14 septembre 1622
    Registre des médicaments, soins aux malades et blessés, 13 et 14 septembre 1622
    AMM, EE 930, fol. 95

Il semble bien réel que cela soit les maladies la première cause de mortalité chez les militaires. Dès le mois d’avril 1622, les dépenses de santé pour les soldats huguenots sont prises en charge financièrement par les consuls de Montpellier. On fait appel aux médecins de l’université, qui s’engagent par convention à soigner les blessés et les malades de l’armée protestante. De leur côté, les pharmaciens-apothicaires décident en juillet de fournir les médicaments nécessaires et acceptent de n’être payés qu’à la fin du siège. Ainsi, les Archives municipales conservent un exceptionnel registre de compte des médicaments, tenu entre le 31 juillet et le 10 novembre 1622, qui liste les remèdes administrés aux soldats malades et blessés durant le siège. Ce document de 181 fol. contient plus de 1400 prescriptions médicales de plusieurs médecins (Sanche, Morel, Thiery, Estanove etc.) pour chaque soldat identifié par son nom, parfois son origine, et le lieu où il est hébergé (chez un particulier ou dans une hôtellerie), précisant s’il est blessé le cas échéant. Ces ordonnances, rédigées en latin, consistent en des sirops, des clystères, des potions purgatives ou des onguents. Parmi les substances prescrites, on note l’usage de térébenthine et d’opiacé, d’huile de lombric et d’amande, d’eau de rose et même de vin rouge.

Du côté des assiégeants, la situation est difficile également et on décompte de nombreux blessés mal soignés. Parmi eux, l’officier Louis de Pontis (1580-1670) dont les Mémoires, reprises dans les Annales de Pierre Serres, rapportent sa mésaventure avec les médecins de l’armée royale et qui fut guéri de sa gangrène par un praticien de Cournonterral. On rencontre au passage Jean Héroard, le médecin personnel de Louis XIII, originaire de Montpellier, auteur d’un célèbre Journal sur la santé de son illustre patient.

Récit de la blessure de Pontis, {Annales de Montpellier} par Pierre Serres
Récit de la blessure de Pontis, Annales de Montpellier par Pierre Serres
Montpellier Méditerranée Métropole – Médiathèque centrale Emile Zola, Ms 51, p. 140-141

Le sieur de Pontis fut commandé pour aller attaquer les ennemis avec cent hommes dans une petite demie lune que l’on vouloit emporter, et d’où ils faisoient grand feu, quoy qu’ils se deffendissent vigoureusement. Ils furent encore plus vigoureusement poussés, et ledit sieur Pontis commançoit desja à y entrer, n’ayant plus qu’un petit fossé à sauter pour s’en rendre tout à fait le maitre, mais dans ce moment, il se sentit tout à la fois frapé de deux coups de mousquet, l’un dans le corps qui n’entroit pas beaucoup, et qui passoit seulement entre la peau et la chair, l’autre dans la cheville du pied qu’il brisa en plusieurs eclats, le faisant tomber en meme tems dans le fossé, d’où ayant vouleu se rellever, il retomba de nouveau. Il se contenta alors d’encourager ses soldats en leur disant qu’ils ne prissent pas garde à luy, mais qu’ils achevassent ce qu’ils avoient sy heureusement commancé, et qu’il ne leur seroit pas honnorable de perdre une demie lune qui leur avoit tant couté à gagner à cause de sa blessure. Comme ces soldats estoient fort braves gens, la vue de l’estat où estoit leur commendant ne fit qu’exciter encore plus leur courage, et exterminerent la garnison qui y estoit, et avant que le dit sieur de Pontis fusse emporté de ce lieu, il eut la satisfaction de les y voir loger.

Apres que ledit sieur de Pontis eut fait loger ses soldats dans cette demie lune, il se fit porter à sa tente, et se fit mettre au lict. D’abord le Roy fut informé qu’il avoit esté blessé et qu’il estoit en danger de mort, ce qui fit qu’il luy envoya monsieur Eroüard son premier medecin quy luy mit le premier appareil, et au bout de quelques jours, il luy voulut couper la jambe, à cause de la gangrene quy y estoit montée et qu’on luy disoit qu’il n’en avoit plus d’esperance qu’en la coupant, à quoy le dit sieur de Pontis ne vouleut jamais consentir. Et se souvenant tout d’un coup qu’il avoit ouy dire à un chirurgien qui le pansoit de quelque blessure, qu’il avoit un remede infaillible pour arrester la gangrene, et ayant apris qu’il ne demeuroit qu’à quinze lieues, en une ville nommée Tournon [Cournonterral ?], il luy envoya promptement son valet quy estant de retour mena ce chirurgien, quy sur le champ luy mit de son remede sur la jambe dudit sieur de Pontis, et le guerit dans moins de huit jours, à la vue et à confusion des medecins et chirurgiens du Roy quy avouerent qu’il y avoit de secrets qu’ils ne sçavoient pas.

Extrait des Annales de Montpellier par Pierre Serres, Montpellier Méditerranée Métropole – Médiathèque centrale Emile Zola, Ms 51, p. 139-141