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La thériaque

D’où vient la thériaque ?

Remède utilisé depuis l’Antiquité, le mot thériaque (du grec thêriakos, signifiant « bête venimeuse ») apparait sous la plume de Nicandre de Colophon, au IIe siècle avant J-C, dans le sens de traitement des morsures animales.

La période est également propice à une autre grande peur : celle du poison, arme redoutée par les souverains de l’époque. Ainsi, le roi Mithridate VI (v135-63 avant J-C) aurait chaque jour ingéré une concoction de sa création, afin de se prémunir de potentiels empoisonnements.

La thériaque moderne est l’héritière de cette conjoncture : l’empereur Néron (37-68) souhaitant un puissant antidote, son médecin Andromaque reprend alors la recette du mithridate, qui passait pour un excellent remède préventif, et lui adjoint de nouveaux ingrédients afin de le rendre curatif – dont le plus important, la chair de vipère ! La thériaque d’Andromaque est née.

Reprise par le médecin Claude Galien, père de la doctrine galénique, le remède va traverser les siècles jusqu’à la Renaissance européenne.

Pourquoi la vipère ?

Ce choix pourrait se justifier par la pensée qu’en rampant sur le sol, l’animal aspire le mal de la terre, le rendant venimeux. Ainsi, ingérée, la chair de vipère aurait la même capacité à appéter le venin et le poison présents dans le corps, tel l’aimant attirant l’aiguille. Mais, déjà dans l’Antiquité, les savants se disputent sur la qualité de ses vertus.

Andromaque ne précisant pas pourquoi prendre une vipère plutôt qu’une autre bête venimeuse, Galien a tenté de répondre à cette question. Selon lui, le venin de cet animal à la particularité d’être contenu au niveau de sa tête : son ingestion est alors sans danger, à condition de lui couper la partie incriminée, et que la préparation de sa chair suive une recette stricte.

La thériaque de Montpellier

Basée sur la recette d’Andromaque, la thériaque de Montpellier compte parmi les plus riches, comportant jusqu’à 83 ingrédients.

La présence de matières plus rares, et la qualité des drogues utilisées – la cité de Montpellier étant bien pourvue grâce à sa situation commerciale – lui valent le surnom de « thériaque fine ».

Castor d'Europe
Castor d’Europe
Université de Montpellier

Elle contient notamment du miel de Narbonne, de l’eau de rose et du musc (glande abdominale du cerf).

Sa renommée se compare avec celle de Venise.

La nécessité d’un contrôle

Il existe plusieurs recettes de thériaque, puisque celle-ci se prépare dans presque toute la chrétienté. Ce qui a donné à celle de Montpellier sa grande renommée, outre sa composition, c’est surtout une volonté ancienne – dès le XVe siècle – de faire authentifier son contenu à travers un contrôle sur la fabrication du remède. En effet, les charlatans sont nombreux à vendre de fausses thériaques, qui ne contiennent aucun des actifs réputés.

Chaque année, un maître apothicaire est chargé de la préparer, quinze jours durant, en présence des représentants médicaux de la ville. Cet événement s’inspire de l’Antiquité, durant laquelle les médecins la composaient devant leur roi.

Préparation de thériaque en public
Préparation de thériaque en public
J. Brunshwig, Liber de Arte distillandi, 1500, BnF

Le discours sur la thériaque

Laurent Catelan, descendant d’une grande dynastie d’apothicaires, innove en 1606, en transformant cette préparation en cérémonie officielle. Il invite tous les grands dignitaires de la ville à assister à une série de discours sur la thériaque et les étapes de sa fabrication. Cet évènement a un tel retentissement en France que des villes comme Paris s’en sont inspiré.

« Voilà pourquoi j’entreprends de faire cela même, que Mithridate, roi de pont, Andromaque, premier médecin de Néron, et Galien, ce grand archiâtre, nous ont laissé par écrit sur le fait de la thériaque, qui a été de tout temps de si grand poids, que jamais les empereurs romains n’ont dédaigné de la voir faire eux-mêmes, quand Galien la composait à Rome. »

La foire de Beaucaire

Une fois la thériaque préparée, elle est répartie entre les maîtres apothicaires de la ville de Montpellier.

Une partie est destinée à être vendue à la foire de Beaucaire, où le corps des apothicaires de Montpellier possède une place de choix depuis le Moyen-âge.

André Basset, La foire de Beaucaire
André Basset, La foire de Beaucaire
XVIIIe siècle,
Musée Auguste Jacquet, Beaucaire

La foire, très réputée, accueille des marchands venus d’Europe et d’Orient, vendant toutes sortes de biens. On y trouve également des faïences provenant des ateliers de Montpellier.

Elle a participé à l’expansion de la renommée de la thériaque de Montpellier.

Les ingrédients de la thériaque

Le miel est ce qui lui donne sa consistance pâteuse.

Modèle de Ruche
Modèle de Ruche
Dr Auzoux, 1898
Université de Montpellier

Les autres ingrédients peuvent être classés en 4 groupes selon leurs propriétés : les purgatifs ; les excitants et stimulants ; les reconstituants physiques ; les sédatifs et calmants.

Ce dernier groupe est principalement constitué de l’Opium, qui se trouvait déjà dans la recette du mithridate, et dont les quantités ont été augmentées dans la thériaque. Peut être une des raisons du succès et la longévité du remède...?

Charas et la thériaque

Apothicaire du XVIIIe siècle, officiant dans la boutique parisienne des « Vipères d’or », Moyse Charas publie d’importants traités pour le monde médical.

Dans les « Nouvelles expériences sur la vipère », il remet en question la préparation laborieuse de la vipère en trochisque (sorte de cachet, comprimé) utilisée dans la thériaque, l’accusant de faire perdre les propriétés de l’animal.

  • Moyse Charas, {Nouvelles expériences sur la vipère}
    Moyse Charas, Nouvelles expériences sur la vipère
    Bibliothèque universitaire
  • Moyse Charas, {Thériaque d'Andromaque}
    Moyse Charas, Thériaque d’Andromaque
    Bibliothèque universitaire

Il ouvre la porte à de nouvelles connaissances et approches, qui vont, aux siècles suivants, entériner le déclin de la thériaque : réduction du nombre d’ingrédients, suppression de la vipère, et finalement disparition définitive au début du XXe siècle.