L’importance de l’approvisionnement et des marchés en ville
L’approvisionnement de la ville est une préoccupation constante des autorités, notamment parce qu’elles craignent les émeutes de subsistance en cas de pénurie. Au XVIIIe siècle, les normes relatives aux marchés alimentaires se matérialisent dans les ordonnances et règlements que le Bureau de police édicte et répète à intervalles réguliers, dont certains sont imprimés, lus par le crieur public et affichés dans des endroits bien visibles de la ville, en particulier les lieux publics de vente. Ces règlements fixent les temps et les lieux de ces marchés, les prix de certaines denrées alimentaires, les poids et mesures utilisés et, simultanément, encadrent le comportement des acheteurs et des vendeurs.
Le commerce des biens et denrées de première nécessité à l’échelle locale est principalement assuré par les femmes, ce qui explique pourquoi elles font l’objet d’une surveillance plus étroite de la part du Bureau de police. Ce dernier dénonce fréquemment « les abus et monopolles » contraires au bien public qu’elles pratiqueraient. Ces incriminations alimentent une vision stéréotypée de ces vendeuses, jugées trop nombreuses, « méchantes » et suspectées de s’enrichir au détriment des habitants :
Il y a des revendeuses de toute espèce, pour le gibier, volaille, fruits, légumes, herbes et autres denrées ou choses nécessaires à la nourriture et entretien des habitans. Le nombre en est fort considérable (Description de Montpellier en 1768).
Afin de prévenir ces femmes présumées coupables d’utiliser des faux poids, de vendre des denrées de mauvaise qualité, de s’affranchir des prix fixés par les autorités, d’effectuer des transactions en dehors des espaces ou des temps prescrits, de vendre sans en avoir obtenu la permission et d’être « coutumieres de sinjurier et d’en venir meme a des excès », les ordonnances énoncent un éventail de peines encoures par celles qui contreviennent à la règlementation, allant de l’amende et la prison, à l’exclusion temporaire ou définitive du marché.
L’aménagement de places et d’édifices consacrés à la vente de denrées, à l’image de la halle au milieu du XVIIIe siècle destinée à enfermer les poissonnières, doit à ce titre permettre une meilleure surveillance des vendeuses.
Afin d’appréhender les délits qu’elles commettent, le Bureau de police compte, d’une part, sur les dénonciateurs qu’il gratifie en argent grâce au montant d’une partie des amendes. D’autre part, il déploie une partie de son personnel qu’il affecte à la surveillance de certains espaces, tel que l’îlier de la Poissonnerie. Les autorités inspectent ponctuellement le marché, quelques membres y faisant parfois « police ambulante », des « descentes » ou des venues « en corps » qui peuvent donner lieu à des condamnations collectives. Des consuls, escudiers et valets sont autrement spécialement affectés à la surveillance du marché selon les jours de la semaine, suivant une rotation des membres du Bureau. À partir des années 1720, un inspecteur est nommé par le Bureau de police pour contrôler les marchés du poisson et de la viande.
Des vendeuses autorisées par le Bureau de police
La possibilité d’exercer certains petits métiers liés à la vente est, pour ces femmes, conditionnée par l’octroi d’une autorisation du Bureau de police. Ce dernier cherche en ce sens à mieux les connaître et les identifier. À ce titre, la permission de vendre passe par une procédure d’admission. Les règlements exigent qu’elles remettent un certificat qui atteste de leurs « bonne vie et mœurs », généralement rédigé par le curé de la paroisse à laquelle elles sont rattachées et l’îlier de l’île où elles vivent. Elles prêtent ensuite serment en s’engageant à exercer leur métier « en femme de bien et d’honneur » et à respecter les règlements. Cela implique, en revers, la possibilité de se voir refuser l’accès au marché ou de s’en faire exclure. Ponctuellement, le Bureau dresse des listes (ou « Etats ») recensant, selon les métiers, les nom et prénom des vendeuses et la localisation de la vente. L’existence de ces documents, en particulier dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, démontre que les pratiques d’enregistrement des individus gagnent la ville et se déploient au siècle des Lumières.

À Montpellier, c’est peu à peu l’ensemble des marchandes de la ville que les autorités souhaitent connaître, recenser et situer, telles que les charcutières, les coupeuses de viande, les courtières, les jardinières, les poissonnières et les revendeuses de toutes sortes de denrées alimentaires. Ces dernières inspirent plus particulièrement la crainte du Bureau de police, signalant par exemple en 1754 de nombreux abus « occasionnés par le grand nombre des femmes qui font les mettier de revendre les fruits et autres denrées en cette ville, lesquelles [ne sont] point connues du bureau n’ont aucun Etat fixe et certain » (Archives de Montpellier, FF 293, Ordonnance du Bureau de police, 20 avril 1754). Parce qu’elles ne peuvent justifier d’une situation stable, le Bureau de police estime qu’« elles ne meritent point la confiance ». En tant qu’intermédiaires dans la chaîne de revente des denrées alimentaires, les autorités les accusent de faire « rencherir le prix des denrées », et estiment que « la plupart seraient plus utiles si elles s’appliquaient au travail de la terre et a d’autres occupations necessaires au public ».
Plus généralement, c’est tout le gouvernement de la ville qui passe par l’écrit.