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La propreté

Au siècle des Lumières, une des grandes préoccupations des autorités monarchiques et urbaines est de nettoyer les rues et l’espace viaire. Un discours très général est tenu pour lier les embellissements à la propreté, et le sujet devient un motif à la production d’ouvrages et de mémoires nombreux sur la question. Une référence séminale est le Traité de la police de Nicolas Delamare (1705), qui impose l’idée qu’une des priorités policières est de nettoyer l’espace urbain :

« Un bien si précieux que la santé, est en même temps si fragile, qu’à tout moment l’homme est en danger de le perdre ; cela peut lui arriver, soit extérieurement par les blessures en son corps, soit intérieurement par le trouble ou dérangement de ses humeurs, & c’est encore l’un des principaux points de la Police, de le préserver de ces dangers. […]

Or, tout ce qui peut être fait à cet égard par rapport à la Police, consiste en trois points : prévenir les malades avant leur naissance ; procurer la guérison de celles qui paraissent ; & si elles sont contagieuses, prendre toutes les mesures possibles pour en arrêter le progrès.

La salubrité de l’air qui nous environne, & que nous respirons, la pureté de l’eau & la bonté des autres aliments qui nous servent de nourriture, sont les trois principaux soutiens de la santé ; ainsi pour conserver au Public un si grand bien, & prévenir les maladies qui le pourraient troubler, il est du soin des Officiers de Police, que l’air ne soit infecté, que l’eau & les autres vivres ne soient corrompus » (Nicolas Delamare, Traité de la police, 1705, t. I, p. 534).

Après la peste de 1666-1667, les autorités du royaume et des villes craignent particulièrement les « contagions ». Pour les prévenir, elles décident de renforcer le « nettoyement » des rues et des espaces où le public se trouve.

De manière concrète, les autorités de la ville ont à lutter contre les déchets déposés dans l’espace urbain, et œuvrent à l’évacuation des boues, à savoir les matières fécales et les urines. Des actions désordonnées sont menées parfois parallèlement, mais elles aboutissent à définir progressivement un système de nettoyage urbain.

Le nettoyage à Montpellier

Les règlements de police imposent, depuis le Moyen Âge, que les habitants nettoient la partie de rue au-devant de leur maison. Ils sont tenus de faire des tas de ce qui est appelé « fumier » dans les règlements de police à Montpellier. Ce fumier est « enlevé » par les jardiniers des environs de la ville, c’est-à-dire les personnes qui ont des terres agricoles au-delà des murs. Ces fumiers servent d’engrais. Ce système n’est pas le seul qui existe dans le royaume de France puisqu’à Paris, les entrepreneurs de l’enlèvement des boues transportent vers des « voieries » (des lieux de décantation) les boues de la ville où elles reposent quelques mois avant d’être utilisées. À Montpellier, les fumiers sont utilisés immédiatement dans les champs environnants.

Le plan réalisé par Chalmandrier figure, sans que cela soit forcément exact, quelques types de culture pratiqués dans la « Banlieue » de Montpellier. On y remarque de rares champs arboricoles, par exemple le long de la route des Aigarelles, mais surtout des espaces de production de « légumes » ou d’« herbes », à savoir ce que l’on nomme aujourd’hui le maraîchage. Il y a enfin et surtout des champs de blés et de vignes, en particulier à l’Ouest et au Nord de la ville.

{Plan de la ville et citadelle de Montpellier avec ses environs}
Plan de la ville et citadelle de Montpellier avec ses environs
Gravé par Nicolas Chalmandrier, détail, 1774
Archives de Montpellier, 3 Fi 31

Le nettoyage des rues inclut également à Montpellier les animaux morts, les ruines et décombres des chantiers, et les résidus des activités économiques. Toutes sortes d’animaux vivent en ville au Moyen Âge et jusqu’au XVIIe siècle. À partir des années 1680-1690, mais plus fortement après 1700 et surtout à la suite de la peste de 1720, les autorités urbaines interdisent progressivement aux habitants d’avoir des cochons, des vaches, des volatiles ou des chèvres dans leurs maisons ou dans les cours. L’objectif est d’éviter les sources « d’infection » ou de « contagion » en limitant la promiscuité entre bêtes et êtres humains.

« Il est défendu aux volaillères, de tenir et nourrir dans leurs maisons, cours & jardins, une grande quantité de volailles, canards, cochons de lait & autres animaux, dont les ordures peuvent être préjudiciables à la santé de leurs voisins » (règlement du Bureau de Police du 26 juillet 1727, renouvelé le 6 juin 1739).

« Il est aussi défendu à toutes personnes, de tenir des vaches & des chèvres, dans les endroits de la ville & des faubourgs, où les voisins peuvent en être incommodés » (règlement du 22 septembre 1714, renouvelé en 1717, avril, mai et août 1727, avril et mai 1728, 1731, 732, 1736, 1739 et 1750).

Source : Reboul, Sommaire des règlements du Bureau de Police de Montpellier, p. 48.

Les animaux morts (« charognes ») doivent être enlevés par le Maître des basses-œuvres, qui les transporte dans des voiries désignées par les consuls. Il récupère une partie des matières sur chaque corps animal transporté et une somme fixe par bête enlevée. Il s’agit principalement de bêtes ferrées, mais il doit également s’occuper des chats ou des chiens morts dans les rues.

Les résidus des activités économiques doivent être enlevés par les membres des métiers ou les artisans. Le problème le plus important est posé par le stockage des matériaux pour les chantiers de construction, et par l’enlèvement des ruines au fur et à mesure de l’avancement des chantiers. Pour s’assurer du respect des règlements par les maîtres maçons ou les entrepreneurs, le capitaine de santé doit parcourir les rues. Il est secondé à partir des années 1740 par l’inspecteur du Bureau de police qui voit ses compétences s’élargir.

Le rôle essentiel des jardiniers

Les règlements de police fixent des règles pour l’enlèvement des ordures. De manière récurrente, le Bureau de police constate que les habitants et les jardiniers négligent leurs obligations. La réitération des règlements a donc pour objectif de rappeler régulièrement les habitants à leur devoir.

{Règlement fait par le bureau de police de la Ville de Montpellier, concernant le netoyement des rues}, 1717
Règlement fait par le bureau de police de la Ville de Montpellier, concernant le netoyement des rues, 1717
Archives de Montpellier, FF 261

Il n’y a pas d’entreprise sélectionnée par les autorités de la ville pour enlever les ordures. À Montpellier, en 1717, il y a un peu moins de 50 jardiniers qui prennent à bail l’enlèvement des ordures. Mais ils ne s’occupent pas des faubourgs. Ils sont une soixantaine en 1754 (dont certains travaillent en famille, père et fils) et 120 en 1792. Ils sont tenus d’enlever les ordures dans les rues autour des îles qui leur sont attribuées.

Zoom sur le plan de Chalmandrier
Zoom sur le plan de Chalmandrier

Par exemple, le nommé Pommier, propriétaire de jardins, doit enlever les ordures des rues de l’île de la Grande Loge, et Ramond, également propriétaire, doit enlever celles des îles de Mirmand et Darènes-Desports. L’espace à nettoyer pour chacun d’eux est donc assez réduit.

En juillet 1754, le Bureau de police impose aux jardiniers d’enlever les ordures à l’aide de « bourriques » qui porteront chacune deux paniers. Les employés des jardiniers sont tenus de passer dans les rues deux fois par jour, le matin et le soir.

  • {Ordonnance du bureau de police de Montpellier du 27 juillet 1754 concernant la propreté & liberté des rues}
    Ordonnance du bureau de police de Montpellier du 27 juillet 1754 concernant la propreté & liberté des rues
    Archives de Montpellier, DD 105

Une nouveauté intervient à cette époque. L’équipement en conduits d’eau et d’évacuation amène le Bureau de police à interdire désormais aux habitants de jeter les urines et les matières fécales dans les rues. Elles seront évacuées à l’extérieur des maisons par ces conduits.

Même si toutes les habitations ne sont pas équipées, on peut estimer que le milieu du XVIIIe siècle marque le début, à Montpellier, de l’amélioration de la propreté des rues, qui ne correspondent plus à l’image médiévale des rues infestées par les résidus organiques. La propreté gagne progressivement l’espace urbain. Elle est due également à la politique de pavage des rues.

Le pavage des rues

Loin d’être systématique, le pavage des rues obéit plutôt à la politique de la nécessité. Les consuls évitent qu’il y ait des trous dans la chaussée, et forcent les habitants à combler ou limiter les « creux à fumier » qui servent à stocker les déchets organiques.

Malheureusement, cette politique d’embellissement, qui doit rendre les rues plus belles, propres et commodes, est contrecarrée par le manque de fonds. La ville ne parvient à payer que ponctuellement des entreprises pour paver un quartier ou entretenir le pavé de la ville. Les baux passés avec des entrepreneurs sont plus nombreux au XVIIIe siècle, et concernent également les chemins qui mènent à Montpellier. On peut y lire une volonté d’améliorer l’état général des rues, qui se combine avec une règlementation plus stricte pour empêcher les jets d’ordures de la part des habitants ou des métiers dans les rues.

Toutefois, dans cette ville qui évolue très lentement, les voyageurs continuent à percevoir les rues comme sales et étroites. C’est encore le cas des autorités révolutionnaires, qui renouvellent le 23 septembre 1789 l’obligation pour les habitants de nettoyer les rues et de respecter les règlements.

Plus généralement, l’eau joue un rôle important dans cet écosystème.

Nicolas Vidoni