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La Paix de Montpellier

Le 12 octobre, après 40 jours de pilonnage incessant, les canons se taisent. Une trêve est conclue dans la journée entre le duc de Rohan et les représentants du roi. S’ensuit une semaine de tractations, un ballet diplomatique qui se joue au pied des murailles, sous le fort Saint-Denis. Le connétable de Lesdiguières, le prince de Joinville et le maréchal de Créquy négocient au nom du roi avec Rohan et les députés des villes insoumises des Cévennes, d’Uzès, de Nîmes et de Montpellier. Le 18 octobre, les articles de paix sont acceptés par les huguenots, et Rohan vient en personne demander pardon au roi dans sa tente.

Le lendemain, 19 octobre, les représentants des réformés, conduits par Calonges, viennent à leur tour demander à genoux la paix à Louis XIII qui accepte leur soumission. L’après-midi, le connétable de Lesdiguières, accompagné des maréchaux de Créquy et de Bassompierre, investit la ville avec 4000 hommes. Et le soir même, le Grand Prévôt fait publier la paix. Le surlendemain, la ville est démilitarisée, avant l’arrivée du roi. « La ville était revenue à l’obéissance sans tomber, victoire éminemment symbolique. » (Arlette Jouanna). Ainsi se conclut le siège de Montpellier, sans opposition, sans répression.

L’entrée de Louis XIII

Le jeudi 20 octobre, vers 4 heures de l’après-midi, Louis XIII entre dans Montpellier par la porte de Lattes (actuelle place de la Comédie). Cet événement marque chronologiquement la fin du siège. Le premier consul, Améric d’Estienne d’Améric, représentant des habitants, lui remet les clés de la ville, symbole de la prise de possession militaire de Montpellier. Le roi est accueilli par la population aux cris de « Vive le roi et miséricorde ». C’est une entrée royale, obéissant à un strict cérémoniel, avec des décorations aux représentations allégoriques, des arcs de triomphe, des tapisseries dans les rues. Improvisée dans l’urgence, l’organisation de l’entrée du roi a néanmoins généré une dépense de 1577 livres et 1 sol qui figure dans le registre de compte consulaire.

Le montpelliérain André Delort (1614-1694), qui rédige ses Mémoires plus de 60 ans après les faits, dans le contexte tendu de la révocation de l’édit de Nantes, insiste davantage sur le rétablissement du culte catholique à Montpellier. La grande loge des marchands, seul édifice couvert assez vaste encore debout face à l’ancienne église Notre-Dame-des-Tables, est transformée en cathédrale, en attendant sa reconstruction. Louis XIII quitte Montpellier la semaine suivante, le 27 octobre, laissant deux régiments sous le commandement de Lesdiguières et Créquy, chargés de la démolition des murailles édifiées pour le siège.

  • La Réduction et triumphante entrée du Roy en sa ville de Montpellier avec les magnificences et cérémonies qui s’y sont passées. La réduction de plusieurs autres villes en son obeissance et le traicté d’icelles (1622)
    Montpellier Méditerranée Métropole – Médiathèque centrale Emile Zola, 30239(2)RES.
La Paix de Montpellier
Vignette tirée de l’Histoire générale de Languedoc

Le Roy entra triomphalement en arme en sa ville de Montpellier le Samedy vingt-deuxiesme Octobre, jour de bon presage, pour ce que selon les astrologues, il est dominé & esclairé de la planette de Mars, qui est toute royale, & affectée à la conservation des Roys.

Son entrée fut magnifique, veu le peu de temps que les habitants de Montpellier eurent pour en faire les preparatifs & decorations requises en choses pareilles & de telle consequence, la peinture & la sculpture y monstrerent les forces de leur excellence, l’architecture y erigea en perfection des portaux, pilastres & arcs triomphaux es lieux par où devoit passer sa Majesté, la tapisserie n’y estoit espargnée par les ruës, & ce que la crainte d’un sac & pillage leur avoit faict cacher de leurs plus beaux meubles, fut decouvert & mis en veuë aux places necessaires pour honorer ceste bienheureuse arrivée. C’estoit à qui plustost iroit au devant, & qui contriburoit ce qui estoit de son debvoir ; l’allegresse & la joye y estoit universelle ; l’air retentissoit des applaudissements des habitans de l’un & l’autre sexe ; on n’oyoit que crier à haute voix : Vive le Roy ! vive le Roy ! […]

Les consuls, accompagnez des plus notables de la ville, vindrent au devans, tesmoignans en la harangue qu’ils firent à sa Majesté qu’ils avoient une grande repentance de l’avoir courroucée, & la supplierent en luy offrant les clefs de la ville, eux & leurs vies, tres-humblement d’estendre sa misericorde sur eux, & de ne chastier leurs crimes, leurs felonnies & les trangressions de ses loix, avec d’autres armes qu’avec celles de sa clemence & de sa pitié. Sa Majesté leur promit & leur accorda ce qu’ils leur avoient demandé, & à condition que doresnavant ils luy seroient fidelles, & que souz pretexte quel ce fut qu’ils ne prendroient jamais les armes contre le service de sa Majesté ; qu’ils souffriroient que leurs nouvelles fortifications seroient rasées, leurs deffences ruinées & demolies ; que leurs fossez seroient remplis & que jusques à ce que le tout comme dit est fut executé, accompli & demoly, il y auroit trois regiments en garnison dedans leurs villes, le gouvernement de laquelle demeureroit à Monsieur de Rohan, auquel ils obeiroient pour ce qui seroit du service de sa Majesté.

Extrait de La Réduction et triumphante entrée du Roy en sa ville de Montpellier.

1622 Reddition de la ville de Montpellier au Roy.

Le Roy y entra en personne le 20 d’octobre 1622 après que ses murailles eurent esté percées comme un crible par le canon de l’armée royale, comme il paroit encore ; les clefs lui feurent presentées dans un sac de couleur bleue, par M. d’Aymeric lors premier consul de la ville, & hors la porte de Lattes.

Le Roy estant entré dans la ville, il y establit la vraye religion & fist chanter aux Catholiques le verset du prophète : In convertendo Dominus captivitatem Sion, facti sumus sicut consolati (Lorsque Dieu délivra Sion de la captivité, &c.), & comme il n’y avoit aucune eglize pour faire l’office divin, la Grande Loge qui appartenoit aux marchands de la ville feut convertie en eglize, & le mesme jour on fist une procession générale par la ville où le Sainct Sacrement feut porté par M. de Toiras lors evesque de Nismes. Toutes les rues feurent tapissées, le Roy y assista teste nue, un cierge à la main ; le daix sous lequel estoit le Sainct Sacrement feut porté par Messeigneurs le prince de Joinville, de Montmorency, le mareschal de Praslin & M. de Crequi beau-filz de M. de Lesdiguières connestable de France, & après la procession le Roy donna son cierge à Madame la conseillere de Clair, devant laquelle il n’y eut que cris & allegresse de Vive le Roy.

Ce mesme jour à vespres, M. de Fenouillet, evesque de Montpellier, prescha dans la Loge, le Roy assista à la prédication assisté de plusieurs princes & de quantité de noblesse. La prédication feut terminée en actions de grâce envers la clémence du Roy, & qu’il suffisoit à un chascun pour sçavoir ce que contenoit la paix de dire que Louis-le-Juste l’avoit donnée. C’est ainsy qu’il humilia les rebelles, se contentant de voir ces orgueilleux prosternez à ses pieds.

Le lendemain le Roy s’estant allé promener pour voir les fortifications des Huguenots, prit un singulier plaisir à voir celles qui estoient depuis la porte des Carmes jusques à celle de Sainct-Guillem & il les trouva si belles & si régulières qu’il ne peut pas s’empescher de donner de grandes louanges à celui qui en avoit eu la direction. Le mesme jour après midy, le Roy ordonna d’assembler le Conseil de guerre, dans lequel il feut question de bien de choses pour la seureté & la conservation de la ville, & entre autres choses il feut resolu de faire raser & entièrement desmolir toutes ces fortifications. Ce feut dans ceste veue que le Roy fit entrer dans la ville les regimens de Picardie & de Normandie qui faisoient ensemble quatre mille hommes, commandés par M. le marquis de Valençay, qui dans moins de six jours eurent entièrement desmoli & rasé les ravelins & généralement toutes les fortifications.

Le Roy resta environ huit jours dans la ville, après lesquels il partit ayant laissé & establi le sieur de Valençay pour commandant & gouverneur.

Comme le calme est doux après la tempeste, jamais Montpellier ne pareut plus beau qu’après tant d’orages, les fruicts de la paix feurent délicieux après les fatigues de la guerre ; les officiers de nostre garnison en estant riches & gens de qualité, se plaisoient à faire de belles despenses. Ils estoient fort propres & toujours bien mis, ce qui charmoit nos dames ; jamais on ne vit plus de bals, courses de bagues, de parties de masque, de jeux & de comédies. Tous ces divertissemens effacèrent aux uns & aux autres le souvenir des miseres passées.

Extrait des Mémoires d’André Delort sur la ville de Montpellier (1692-1693)

Les conditions de la Paix

La paix de Montpellier met fin à la guerre entre Louis XIII et « ses sujets de la religion prétendue réformée ». C’est par cette périphrase que vont être désormais désignées les personnes de confession protestante. Ce basculement sémantique est le signe que le rapport de force penche en faveur du roi. La paix signée entre les deux partis confirme l’édit de Nantes, tout en restreignant les libertés accordées aux protestants. Même si elle instaure un retour à un statut quo religieux et administratif, elle interdit la tenue d’assemblées politiques, en particulier les cercles, sans autorisation royale ; elle ordonne en outre la destruction des fortifications nouvellement construites des places huguenotes.

Montpellier, le duc de Rohan et sa famille font l’objet d’articles particuliers. Rohan obtient le versement comptant de 200 000 livres, en dédommagement de la perte du gouvernement du Poitou et de la ville de Saint-Jean-d’Angély. Il obtient également 600 000 autres assignées sur les revenus du duché de Valois. Ce traitement de faveur provoque des jalousies et des soupçons de trahison dans le camp protestant. Le « parti huguenot » sort donc du siège affaibli et avec des rancœurs. Cette fragile paix de Montpellier est certes renouvelée en 1626, mais ne peut empêcher la reprise des hostilités en 1627 avec le siège de La Rochelle.

  • Articles de la paix générale accordée par le Roy à ses subjets de la Religion prétendue Réformée (1622)
    Montpellier Méditerranée Métropole - Médiathèque centrale Emile Zola, 30238RES

Le rétablissement de l’autorité royale

Louis XIII regagne Paris à l’automne en roi triomphant, paradant de ville en ville. Il fait graver l’année suivante une médaille commémorative en cuivre du siège de Montpellier qui célèbre sa victoire. Au revers, on voit le roi chevauchant en armure, l’épée à la main, dans une posture guerrière, écrasant ses ennemis. Devant lui, quatre bourgeois à genoux, à la porte de la ville, lui présentent les clés. La légende explicite la scène : « ARMIS.ET.CLEMENTIA.VICTOR » (victorieux par les armes et par sa clémence). Louis XIII est incontestablement le vainqueur de la bataille de l’image, mais paradoxalement les Montpelliérains ne considèrent pas le siège comme une défaite militaire. Ils vont l’apprendre à leurs dépens.

Médaille de Louis XIII commémorative du siège (1623)
Montpellier Méditerranée Métropole - Médiathèque centrale Emile Zola, CC2709-2710

Louis XIII, magnanime, ne supprime pas les libertés municipales à l’issue du siège. Les consuls, qui lui ont tenu tête, ne sont pas châtiés. Seules les fortifications de d’Argencour, symbole de l’orgueil des huguenots, sont démantelées entre novembre 1622 et novembre 1623. L’élite réformée pense être toujours maître de la ville. Les élections consulaires de février-mars 1623 sont l’occasion d’un revirement politique inattendu. Les catholiques réclament des places au Consulat ; les protestants rappellent Rohan à Montpellier. Le gouverneur militaire, Jacques d’Etampes de Valençay, suspectant un coup de force, fait arrêter le duc de Rohan et impose un consulat mi-partie avec le baron de Castries à sa tête. Dès lors, Montpellier passe définitivement sous le contrôle du pouvoir royal et ne se soulèvera plus contre le roi.