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La paix brisée

{Le Janus à deux faces, envoyé à Montpellier} (1622)
Le Janus à deux faces, envoyé à Montpellier (1622)
Montpellier Méditerranée Métropole – Médiathèque centrale Emile Zola, 30239(4)RES

La réaction du roi ne se fait pas attendre. Louis XIII engage une nouvelle campagne militaire contre la rébellion protestante au printemps 1622, avec dans son viseur Montpellier. Elle s’accompagne d’une campagne médiatique catholique pour justifier la répression armée. Dans ces pamphlets, Montpellier est désigné comme le responsable de la guerre. L’auteur du Harlan termine son poème par une harangue au roi « Venez, sire venez ! » pour châtier les « Papillons rebelles ». Dans Le Janus à deux faces, envoyé à Montpellier, appel à la raison destiné à l’élite cultivée, Montpellier est accusé de rouvrir les portes de la guerre et doit maintenant subir la « fureur » du roi : « C’est donc toy Montpellier, ville mutine, qui recommance la guerre au temps où nous esperions la paix, c’est toy qui es cause de ces remuëmens. »

Dans une veine plus populaire, Le Cour-bouillon des rebelles accommodé à la sausse des reistres d’Allemagne file la métaphore culinaire et menace de mettre la pâtée aux huguenots, alliés des protestants allemands. Le titre lui-même est un calembour, une allusion au duc de Bouillon, commandant en chef des Cercles.

Le Cour-bouillon des rebelles accommodé à la sausse des reistres d’Allemagne

  • {Le Cour-bouillon des rebelles accommodé à la sausse des reistres d'Allemagne} (1622)
    Le Cour-bouillon des rebelles accommodé à la sausse des reistres d’Allemagne (1622)
    Montpellier Méditerranée Métropole – Médiathèque centrale Emile Zola, 30486RES
Depuis le jour fatal que vos gens com-
mencerent à pulluler dans le Royaume,
depuis que Calvin eut envenimé ceste
Monarchie de ses monstrueuses & dam-
nables propositions, on n’a veu naistre
que malheurs, que desolation, que calami-
tez publiques, que guerres, & que discor-
de parmy la France ; cest Empire, aupa-
ravant le sejour de la paix & la demeure
ordinaire des vertus, où avec seureté elles
avoient restabli les anciennes richesses
du Siecle de Saturne, & fait renaistre la
majesté auguste de nos premiers peres, &
des sacrez rejettons de l’Eglise, a esté d’au-
tant rabaissée de son premier degré qu’au-
paravant il avoit un ascendant advanta-
geux sur les autres parties du monde ; nos
temples, auparavant l’honneur de l’Euro-
pe, & où Dieu estoit vrayment recogneu,
furent la carriere où vos fureurs borne-
rent leurs courses, pillans, bruslans, sac-
cageans & ravissant toutes les richesses
qui s’y rencontroient ; vous y avez exer-
cé mille & mille cruautez & insolences ;
mais depuis quelque temps, où vous a
porté vostre rage effrenée, n’avons-nous
pas veu à nos yeux, depuis deux ans, tou-
te la Guienne, le Languedoc, Gevo-
dan, Vivarets, Poitou & autres provin-
ces souffrir des extorsions estranges pour
vostre suject ? quelle pillerie n’a exercé
Soubise au Poitou (mais il en a payé les
arrerages) que n’ont pas fait ceux de la
Rochelle & de Montauban, sur leurs
voysins mesmes, & sur ceux qui estoient
de leur religion ! Que n’a on point exco-
gité à Nismes, Castres & Mont-pellier,
pour s’opposer directement au service du
Roy, en vain pourtant : car tost ou tard
il faut succomber & quitter cest os si long
temps rongé par vous, il faut demordre
& abandonner les places où vous avez
deliberé d’establir vostre Empire, voicy
des jours qui vous sont bien caniculaires
& climateriques. Avec combien de regret
voyez vous tous les jours empieter de
nouvelles places sur vous, avec quelle
douleur voyez vous tant de lauriers & de
palmes se joindre aux victoires & triom-
phes du Roy, pour luy faire une guirlan-
de qui fera éternellement reverdir son
courage ? Mais il vous faut prendre pa-
tience, l’Eglise de Christ ne sera pas tous-
jours affligée, le troupeau esleu ne sera
pas tousjours tourmenté des loups, il
faut tacher à prendre courage, & ne per-
dre du tout vostre premiere vigueur, voi-
cy un COURT-BOUILLON que je vous
apporte pour vous remettre en vostre
pristine santé, & vous reintegrer en vos
premieres forces, puis que LA FORCE vous
a quitté au besoin, & qu’il a abandonné la
bergerie, aussi bien que DU MOULIN, v⁣o-
stre pasteur ; vous m’accuserez peut estre
de trop de temerité de vous avoir prepa-
ré ce bouillon en un temps si facheux, & où
il semble que le Ciel n’ait des foudres
que pour se vanger de vos revoltes ; tou-
tesfois, ce n’est que l’affection que j’ay à
vos merites qui m’y a poussé ; je vous eusse
bien apporté un potage blanc pour vous
refaire de toutes les camisades qu’on
vous a donné depuis deux ans, mais j’ay
bien preveu que cela vous eut eschaufé le
sang davantage. J’avois du commencement
quelque intention de vous faire un ha-
chis : mais me souvenant qu’on vous en
avoit fait manger un plat dans l’Isle de
Rié, & que journelement le Roy vous
nourrit et entretient de telles viandes, j’ay
desisté de ma proposition, de vous apor-
ter une capilotade, ou quelque fricassée
à la huguenotte eut esté renouveller les
anciennes ligues. J’ay mieux aymé vous
accommoder au COVRT-BOVILLON,
puis que de vous mesmes vous aymez LA
SAVSSE D’ALLEMAGNE, & le haut goust.
Le lieu où je vous veux apprester &
faire cuire ce Court-bouillon, ce sont
vos villes propres qui serviront d’ingre-
diens à vous mesmes pour finir vos jours ;
la Rochelle me fournira de vinaigre,
Montauban de verjeus, Mont-pellier de
poyvre, Castres de cloux de girofle, Nis-
mes d’espice, & Sedan de tous les autres
ingrediens necessaires à ce Court-bouil-
lon, vinaigre qui vous doit faire sentir
l’aspreté de ses pointes, & le goust indi-
geste de sa crudité, verjus qui ne laissera
meurir d’avantage vos desseins & vos
monopolles ains par un restringent à ce
requis vous coupera l’herbe sous le pied,
pour vous faire savourer l’acrimonie de
son goust, poivre qui vous eschaufera te-
lement le sang, que la pleuresie butinera
le reste de vos jours, cloux de girofles
qui doivent enfin vous faire sentir les
pointes de l’ire du Ciel, espices qui feront
que le procez ne sera jugé qu’à vostre des-
advantage, & pour couper court, parlant
de Court-bouillon, ingrediens qui par la
mixtion dangereuse de leur nature doi-
vent bien tost engendrer en vous des
qualitez contraires, qui vous contrain-
dront de quitter la place. Cest à toy
BOVILLON, qui jusques icy a si bien fait la
chattemite, pour te joindre aux Raistres,
que toy & tes compagnons ont fait venir
à leurs secours, cest à toy à qui le premier
je veux bailler à humer ce Court-bouil-
lon, jusques icy je n’ay fait que la Sausse,
les Raistres me serviront de poisson, ou
pour mieux dire de poizon, pour vous
faire tous succomber sous vos revoltes.
Monsieur de Nevers, prince genereux,
sera celuy qui vous contraindra de l’aval-
ler malgré vous, Manfeld y trouvera de
quoy contenter ses appetits, mais garde la
queuë, on ne les laissera pas venir jusques
à Auneau, la frontiere est assez capable
de les ensevelir. Pour Nismes & Castres,
rien ne leur servira d’avoir le duc de
Rohan ; avec eux M. le Prince [de Condé] leur fera
avaller ce Bouillon, à Mont-pellier il y
fait bien chaud pour les habitans qui sont
desja à demy poivrez ; le Roy leur donne
d’estranges restringens, & le duc Dedi-
guieres [de Lesdiguières], qui ne s’oubliera pas à leur faire
humer le potage, il se souvient encor de
l’afront qu’on luy fit au massacre du Pre-
sident du Cros, qu’il y avoit envoyé ; rien
ne leur servira d’avoir toute l’escholle de
medecine avec eux pour consulter leur
maladie, puis qu’une pleuresie ne consiste
qu’en la seignée. Il y a de bons chirur-
giens en l’armée du Roy ; Monsieur de
Zamet leur a desja monstré, que nonob-
stant la peur qu’il leur donna, il sçeut bien
tirer du sang de leur troupes derniere-
ment, pour Montauban, puis qu’il four-
nit le verjus, cest bien la raison qu’on luy
face prendre ce Court-bouillon à demi
cuit. Monsieur de Vandosme luy fera ce
bon office, à fin de relever les citoyens
des fatigues qu’ils ont eu depuis le com-
mencement du siege ; quant à la Rochelle,
elle aura moyen avec le temps, de mettre
de l’eau en son vin ; je sçay bien qu’elle
trouvera ce Court-bouillon bien aigre, il
faudra pourtant l’avaller. Monsieur le
Comte de Soissons, & Monsieur de Guise,
qui tienent les advenuës, sçauront bien
prendre le temps, & l’occasion de luy
donner cest ingrédient ; cela luy donnera
des sincoppes, mal de cœur & indigestions
d’estomach ; mais en ce cas, le meilleur
sera de prendre patience, & de prier Dieu
pour les mal traittez, & ce que je trouve
de pire est que les medecins de Mont-
pellier ne pouront venir au secours : car
ils sont bien empeschez.