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La Société royale des sciences

En 1706, la Société royale des sciences est fondée par lettres patentes à Montpellier. Comme l’écrit Daniel Roche, « la Société montpelliéraine est sans conteste l’un des carrefours principaux de l’Europe des lumières ». Trois caractères la spécifient dans les académies provinciales des Lumières. D’une part, elle est la seule académie provinciale affiliée à l’Académie des sciences de Paris dont elle est présentée comme « la petite sœur » dans une multitude de textes. D’autre part, elle est aussi la seule académie provinciale à se soucier exclusivement de sciences physiques et mathématiques à l’exclusion des belles-lettres et de l’histoire. Enfin, elle est la plus ouverte sur l’étranger de ces académies, notamment vers les territoires suisse, allemand et surtout italien.

Société royale des sciences

La Société ou Académie royale des sciences ne fait qu’un même corps avec celle de Paris. Elle est composée des mêmes classes d’Académiciens, honoraires, d’étrangers, ordinaires et adjoints. Ses officiers sont le Président, le Directeur ; le Secrétaire et le Trésorier. Les uns sont pour l’astronomie, les mathématiques ; les autres, pour l’anatomie, la chimie, l’histoire naturelle, la géographie, etc. Cette Académie a un grand nombre de correspondants dans toute l’Europe. Il n’y a que 600 livres de revenu, donnés par la Ville. Les Académiciens s’assemblent tous les jeudis, et ont une distribution manuelle d’une demye-livre de bougie, lors des éclipses ou autres évènements. Leurs observations se font à un observatoire, qu’ils ont fait construire sur une des tours des murailles de la ville. Ils tiennent une assemblée générale, une fois l’année, à l’Hôtel de Ville.

Les honoraires sont les Archevêques, Évêques, Commandans, Premiers Présidents, Intendans et autres personnes de considération. Quant aux Académiciens, c’est le mérite qui procure ces places.

Les ouvrages, mémoires et découvertes, qu’ils ont faites depuis leur établissement, se trouvent imprimés dans les recueils, que l’Académie royale des sciences de Paris fait imprimer chaque année. Depuis peu, celle de Montpellier a fait imprimer son Histoire in-4°, où tous ses membres sont insérés.

Les Académiciens ont été chargés de lever la Carte générale par diocèze ; ce qu’ils ont fait avec la plus grande exactitude.

D’après Montpellier en 1768, état et description de la ville de Montpellier, ms. anonyme, 1768, chap. XI, § 1.

Entre 1706 et 1793, la Société royale compte environ 400 membres, au moins 31 honoraires, 115 ordinaires et adjoints, 23 associés libres et 236 associés étrangers et correspondants. Les données sont assez incertaines dans les années 1710 et 1720. Les honoraires, souvent des grands dignitaires du royaume et surtout de la province, protègent l’académie, notamment en servant de relais avec le gouvernement monarchique ou les États de Languedoc. Les adjoints et ordinaires sont le cœur actif de l’académie, les savants qui résident et travaillent à Montpellier et livrent leurs résultats dans les assemblées académiques. Les associés étrangers et les correspondants ne résident pas dans la ville mais sont supposés faire parvenir à l’académie leurs observations et travaux. L’ordre statutaire est très rigide, sauf le statut d’associé libre.

Liste des membres de la Société royale des sciences, 1771
Liste des membres de la Société royale des sciences, 1771
Réseau des Médiathèques Montpellier 3M, Médiathèque centrale Emile-Zola, Ms. 10025(7)

L’académie montpelliéraine est composée de cinq sections : les mathématiques, l’anatomie, la chimie, l’histoire naturelle, et la physique. L’accent est davantage mis sur les sciences d’observation, et en particulier sur les disciplines médicales, qu’à l’Académie des sciences où priment les sciences mathématiques. Ce découpage de la Société royale donne une idée assez juste du spectre des recherches qui y sont menées mais il est d’une importance toute relative dans le fonctionnement concret de l’institution malgré une hiérarchie symbolique entre les sections.

La Société royale est très peu financée jusque dans les années 1770. Elle ne reçoit aucun subside de la Monarchie mais une dotation annuelle de 300 de la Municipalité, le gouvernement royal ayant exigé que la ville pourvoit à son loyer. Cette dotation demeure la seule contribution publique régulière aux finances de la Société royale jusqu’au milieu des années 1730. En 1737, les États de Languedoc participent à son financement avec 600 L. qui deviennent 1 000 L. en 1778. L’installation dans l’hôtel académique en 1777-1778, décisive pour la visibilité de la Société royale dans l’espace urbain, donne lieu à une augmentation exceptionnelle de la dotation provinciale portée à hauteur de 32 000 L. Depuis lors et pour une décennie, l’académie dispose d’un budget plus confortable.

L’expertise de l’académie est sollicitée par les différentes autorités politiques, Municipalité, États de Languedoc, et Intendance, autrement dit les administrations urbaines, provinciales et royales. Elle concerne des objets assez divers, depuis l’examen de ressources minérales jusqu’à l’établissement de normes métrologiques en passant par des essais de machines et de techniques industrielles et la mesure des besoins en eau de la ville. Sur l’ensemble du XVIIIe siècle, on distingue un glissement dans les objets d’expertise, depuis la connaissance des ressources et des produits jusqu’à celle des machines et des procédés de fabrication.

Capsule sonore 7
Les sciences et le gouvernement de la ville

À l’échelle de la ville, les demandes d’expertise de la municipalité montpelliéraine à la Société royale sont rares. Depuis 1744 jusqu’en 1790, elles se concentrent sur deux objets : le prix du pain et surtout les qualité, adduction et usages de l’eau dans la ville. Pour les consuls, principaux magistrats de la ville, ces deux objets sont des enjeux importants de police urbaine. L’expression intègre alors tout ce qui touche au pain – à sa qualité, à son prix et à son poids –, et tout ce qui relève de la salubrité publique, donc les eaux urbaines, celles des puits et de l’aqueduc en particulier. Ces dernières demandes, très irrégulières, sont concentrées dans la seconde moitié de l’existence de la compagnie.

La question frumentaire est un enjeu social et politique de première importance sous l’Ancien Régime. En 1709, après un terrible hiver, les prix du pain connaissent une envolée spectaculaire. L’historien de la ville d’Aigrefeuille écrit en 1736 que la disette “devint si grande, quoique dans le mois d’août, qu’on fut réduit à chercher quelque nouvelle nourriture au défaut du blé. Nos messieurs de la Societé des sciences essayèrent de faire du pain de la racine du gramen [ici pour désigner une graminée sans précision] qui vient par les campagnes, en sorte qu’en ayant fait secher une certaine quantité qu’ils firent moudre, ils en tirèrent une farine-blanche qu’ils mêlèrent avec de la farine de blé, dont ils firent du pain qui fut trouvé bon & sans aucun mauvais-goût”.

En 1771, la Société royale est invitée par les administrateurs de la ville à examiner un “nouveau tarif qu’ils ont fait calculer pour la fixation du prix du pain relativement au prix du setier de bled”. La commission académique approuve ce nouveau tarif qui est bientôt autorisé par le Bureau de police. Sur la question frumentaire, l’académie intervient ainsi à deux reprises, d’abord par des expériences de panification, plus tard à propos de la fixation du prix du pain. Elle n’intervient par contre pas en matière sanitaire.

Ordonnance du Bureau de police de Montpellier sur le tarif du pain, 1772
Ordonnance du Bureau de police de Montpellier sur le tarif du pain, 1772
Réseau des Médiathèques Montpellier 3M, Médiathèque centrale Emile-Zola, 16035

L’aménagement du territoire provincial est au XVIIIe siècle, l’objet de la sollicitude des États de Languedoc qui mènent une politique autonome par rapport à la monarchie comme l’a montré Stéphane Durand. De fait, le corps des ingénieurs des ponts-et-chaussées, si décisif pour la transformation du réseau routier et hydraulique du royaume au XVIIIe siècle, est tenu à distance dans la province. Celui-ci est essentiellement opéré par la Commission des travaux publics créée en 1701 mais une expertise savante est parfois prodiguée par la Société royale. C’est le cas des recherches sur les courants marins, les inondations, les graus et l’ensablement des ports méditerranéens, celui de Sète notamment, toutes questions discutées à l’académie à partir des années 1730.

Pierre-Yves Lacour