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La Halle aux poissons

Un espace unique et pérenne de vente de poisson

L’ancienneté du marché

En 1212, les consuls de Montpellier créent une place de la poissonnerie. Cet acte fondateur est mentionné cinq siècles plus tard sur le plan de compoix des îles de la Poissonnerie et de la Boucherie, ce qui constitue un indice de son importance.

Plan de compoix des îles de la Poissonnerie et de la Boucherie
Plan de compoix des îles de la Poissonnerie et de la Boucherie
Sixain Saint-Firmin, s.d. [c. 1747]
Archives de Montpellier, II 612

Du XIIIe siècle au XIXe siècle, cette place reste l’unique espace autorisé pour la vente de poisson frais. Ce marché est central puisqu’il se situe à proximité des principaux espaces marchands et politiques de la ville. Les compoix ainsi que le plan dressé par Flandio de la Combe montrent ainsi qu’il est proche de la boucherie (ou Mazel), de la place aux herbes, de la place des Cévenols (où plusieurs variétés de denrées alimentaires sont vendues), de l’Orgerie (marché aux grains) et de l’Hôtel de ville.

Plan de compoix de l'ancienne poissonnerie et du Mazel
Plan de compoix de l’ancienne poissonnerie et du Mazel
s.d. [avant 1747]
Archives de Montpellier, II 493
Plan de Montpellier dit Flandio de la Combe de 1788 entièrement remanié en 1816, detail des marchés
Plan de Montpellier dit Flandio de la Combe de 1788 entièrement remanié en 1816, detail des marchés
Archives de Montpellier, 2 Fi 498

Un espace abandonné, à réaménager

Dès le XVIIe siècle, soit bien avant la construction de la halle aux poissons, le Bureau de police constate que certaines marchandes ont préféré renoncer à cet espace et installer leurs étals de vente dans les ruelles proches ou au-devant des maisons. En 1684, les autorités dénoncent les vendeuses qui, « par une manifeste contravention & un abus trés - incommode & prejudiciable aux Habitans […] vendent hors la Poissonnerie & dans les Rues voisines » (Archives de Montpellier, HH 182, Délibération du Bureau de police, 7 octobre 1684). Cette dispersion des échanges est jugée responsable de « puanteurs insuportables » à travers la ville, mais également d’un grand encombrement : « il arrive que le passage des Rues ou lesdites Ventes se font, & particulierement de celles du Puids du Fer, de la Place des Sevenols & du Mazel, au devant de la Boucherie sont toûjours occupez & embarrassez par les Jardinieres, Fruitieres, Revandeuses, Poissonniers & Mangoniers, & par leurs Tabliers, Bancs, Corbeilles, Banastes & autres choses ». Durant la première moitié du XVIIIe siècle, de nombreux règlements du Bureau de police rappellent aux poissonnières qu’elles ne doivent effectuer les ventes en détail qu’à la place de la Poissonnerie. En réponse aux injonctions des autorités, les vendeuses soutiennent que les étals de la place sont en « mauvais estat » ou « occupez par des Mangonniers ».

L’« embellissement » de la ville par la construction de la halle 

  • Extrait des délibérations du Conseil de Ville concernant la halle au poisson, 27 mai 1744
    Extrait des délibérations du Conseil de Ville concernant la halle au poisson, 27 mai 1744
    Archives de Montpellier, DD 92
{Plan des fondemens de la place du Mazel ou de la Boucherie}
Plan des fondemens de la place du Mazel ou de la Boucherie
Dressé par d’Aviler, 1699
Archives de Montpellier, II 497

En 1700, l’architecte Augustin-Charles d’Aviler avait construit le Mazel, un bâtiment couvert regroupant les étals de la boucherie. Un demi-siècle plus tard, le Conseil de Ville estime qu’il est nécessaire de construire un marché couvert offrant aux poissonnières un « abry du chau & du froid dans une hale ou elles feron le commerce avec plus de comodité ». En 1744, lors des délibérations du Conseil de Ville, le Maire M. de Massilian argumente en faveur de la construction d’une halle en insistant sur les défauts du marché et du quartier. La forme, jugée trop exiguë, de la place et des ruelles adjacentes entraîne deux inconvénients auxquels le nouvel édifice doit remédier. D’une part, cette forme contrevient aux nouvelles normes sanitaires qui s’élaborent au XVIIIe siècle car elle favoriserait l’air malsain. La construction d’un marché couvert doit ainsi protéger les habitants des odeurs nuisibles de la marchandise, et protéger cette dernière du soleil et de la chaleur qui contribuent à sa putréfaction. D’autre part, le Maire considère que l’insécurité règne dans cet espace. La place et ses rues, étroites et tortueuses, faciliteraient les agissements malveillants et empêcheraient une surveillance fine des autorités qui ne peuvent se déployer dans chaque recoin de ce « labyrinthe ». Par ailleurs, cet établissement trouve sa place au milieu d’autres chantiers de maisons particulières et de constructions publiques. En permettant de dégager des espaces plus grands et d’élargir les rues, il répond à l’idéal monarchique et des Lumières de la ville classique promu par les successeurs de l’architecte d’Aviler. Il s’agit à la fois d’embellir la ville, mais aussi de la rendre plus propre, plus fonctionnelle et plus sûre.

Enfin, cet aménagement doit aussi permettre aux autorités d’exercer un contrôle plus resserré sur les vendeuses et de les discipliner. Il est en effet plus aisé de faire respecter les règles, de contrôler les transactions et de surveiller les vendeuses en les enfermant dans un lieu bien délimité.

La construction et la forme de la halle

Différents projets de halle

À partir de 1744, plusieurs architectes esquissent des projets de halle pour les proposer à la Ville et à l’Intendant du Languedoc. L’auteur du « plan de la halle projettée à Montpellier pour la vente de la viande de boucherie et du poisson » envisage par exemple de réunir les poissonniers et les bouchers au sein du même édifice, en les séparant par un simple passage central au milieu du bâtiment. Or, cette proposition implique l’abandon et la destruction de la boucherie construite cinquante ans plus tôt par d’Aviler, « fameux architecte » dont le nom est encore attaché à l’embellissement de la ville. L’architecte du roi Ange-Jacques Gabriel recommande à son tour la réunion des deux marchés dans l’un des quatre projets qu’il soumet. Aucune de ses propositions n’est retenue en raison du coût qu’elles représentent. L’auteur d’un mémoire insiste en cette occasion sur le but premier de cette halle qui ne doit « point [être] regardée comme un monument de magnificience ou de beauté mais comme un lieu destiné a acheter et a vendre les choses les plus necessaires de la vie » (Archives départementales de l’Hérault, C 1110, « Mémoire sur le projet de la hale de Montpellier », non daté). Plutôt que l’esthétisme, c’est avant tout la commodité qui doit être prise en compte dans l’aménagement de la nouvelle halle. Le projet présenté par Jean Giral, moins coûteux, est adopté. Il nécessite la destruction de maisons que les auteurs du « Plan des quatre rues qui servent de confront aux maisons scituées à l’isle de la Poissonnerie » font figurer en septembre 1746, un an avant la pose de la première pierre.

{Plan de la Halle projettée à Montpellier pour la vente de la viande de boucherie et du poisson}
Plan de la Halle projettée à Montpellier pour la vente de la viande de boucherie et du poisson
s.d. [c. 1744]
Réseau des Médiathèques de Montpellier Méditerranée Métropole, Médiathèque centrale Emile-Zola, EstL0090
{Plan des quatre rues qui servent de confront aux maisons scituées à l'isle de la Poissonnerie}
Plan des quatre rues qui servent de confront aux maisons scituées à l’isle de la Poissonnerie
Dressé par Vidal et Negre, 1746
Archives de Montpellier, II 564

La Poissonnerie, « un édifice moderne construit dans le grand goût »

Achevée en février 1750, cette nouvelle poissonnerie, construite en pierre de taille, s’étend sur environ vingt mètres de long, huit mètres de large et de hauteur, et possède deux grandes portes d’entrée fermées par des grilles de fer.

  • Plan, élévation et profil des boutiques de la poissonnerie par Giral, 1747
    Plan, élévation et profil des boutiques de la poissonnerie par Giral, 1747
    Archives de Montpellier, DD 7

L’auteur anonyme d’une Description de la ville de Montpellier en 1768 juge le nouveau bâtiment « trop somptueux pour y vendre du poisson ». En décrivant l’édifice, l’auteur montre que l’architecte de la halle a adopté les codes de l’architecture classique, caractéristique de l’époque des Lumières. Il évoque ainsi le « fronton », les « quatre grands arceaux, bâtis aux deux tiers, séparés par de grands pilastres d’ordre toscan » que l’on peut visualiser sur l’élévation latérale de la poissonnerie dressée par Giral. Au sous-sol, huit caves et deux placards complètent le bâtiment tandis que des soupiraux apparaissent sous chaque ouverture de l’élévation. À l’intérieur, dix-huit étals peuvent accueillir les vendeuses de la ville, d’un côté, et les vendeuses de poisson apporté par les étrangers d’un autre côté. Les étals des jardiniers sont disposés autour de l’édifice et, en 1751, le Conseil de Ville autorise l’architecte Nogaret à faire construire des boutiques (ou échoppes) adossées au mur de la halle et destinées aux revendeuses.

  • Jean-Baptiste Amelin, « Marché au poisson »
    Jean-Baptiste Amelin, « Marché au poisson »
    Dessin daté du 28 juin 1823, retouché le 6 décembre 1844
    Réseau des Médiathèques de Montpellier Méditerranée Métropole, Médiathèque centrale Emile-Zola, 1652RES_Vol 1_128
  • {Plan des eschopes pour l'extérieur de la nouvelle poissonnerie}
    Plan des eschopes pour l’extérieur de la nouvelle poissonnerie
    Dressé par Nogaret, 1750
    Archives de Montpellier, II 496

Outre l’embellissement de la ville, l’aménagement de halle aux poissons et de la place aux herbes permet également de générer des revenus plus certains pour la Ville, issus de la location des étals de vente, et de mettre au point de nouvelles modalités de surveillance de ces marchés.

Claire Huet