Retour à “Montpellier et les guerres de Rohan”

L’escalade de la violence

Le long siège de la ville de Montauban par Louis XIII a pour conséquence la radicalisation de l’opposition protestante organisée au sein des Cercles. L’Assemblée du Cercle prend littéralement le pouvoir à Montpellier au cours de l’automne 1621. Elle destitue de son commandement Gaspard de Coligny, duc de Châtillon, gouverneur de la cité, et impose ses décisions aux consuls. Elle interdit aux habitants catholiques la célébration de la messe, ainsi que de sortir de la ville. Cette ordonnance, publiée le 3 décembre 1621, provoque une émeute populaire : l’église Notre-Dame-des-Tables est pillée puis démolie. Pendant plusieurs jours, les autres édifices religieux de Montpellier subissent le même sort. Les églises, couvents et clochers, reconstruits depuis la fin des guerres, sont rasés jusqu’aux fondements. En janvier 1622, le président du parlement de Grenoble du Cros, envoyé par le duc de Lesdiguières pour faire des propositions de paix au nom du roi, est sauvagement assassiné. Le duc de Rohan reprend alors le commandement de la ville pour mettre fin aux débordements. Le récit des exactions du Cercle est rapporté par Petit, maître de musique du chapitre cathédral de Saint-Pierre, dans un long poème sur la destruction des églises de Montpellier, publié à Béziers en 1622 et intitulé Le Harlan. Ce terme de « Harlan », cri de ralliement des émeutiers se livrant au pillage, restera dans l’histoire de Montpellier pour désigner cet événement.

  • {Le Harlan} ou {Pillage et desmolissement des eglises de la ville de Montpelier faicts par quelques Rebelles} (1622)
    Le Harlan ou Pillage et desmolissement des eglises de la ville de Montpelier faicts par quelques Rebelles (1622)
    Montpellier Méditerranée Métropole – Médiathèque centrale Emile Zola, 30613RES
STANCES
EN FORME
D’ESTONNEMENT
sur le mesme subject.
 
SAISI d’estonnement & en perplexité,
Voyant dans Montpelier nos Eglises par terre,
Je m’escrie soudain : malheur à la Cité
Qui faict contre son Roy & son Seigneur la guerre.
 
Ores je cognois bien ce que l’on m’avoit dit
De nos Temples sacrez estre tres-veritable,
Et le peuple de Dieu n’avoir plus le credit,
De loüer librement son sainct Nom Venerable ?
 
D’où est-il provenu ce desmolissement,
Qui peut avoir causé contre nous ceste perte,
Quel artizan subtil a faict si promptement
D’une riche Cité une Ville deserte ?
 
Je n’y vois rien en droict, tout y est renversé,
D’un & d’autre costé ce ne sont que ruines.
Je crois que le malin s’est icy exercé
Et qu’il a faict jouër ses infernales mines ?
 
Où sont ils maintenant ces Temples glorieux,
Ces Eglises, helas ! je les vois demolies,
A peine peut-on bien recognoistre les lieux
Et l’endroit où jadis elles furent basties.
 
L’Eglise nostre Dame estoit, si m’est advis,
Icy tout au devant de ceste vieille Loge ;
Je n’y recognois rien où seroit le parvis
Mais c’est pour soustenir (je pense) le Horloge.
 
Je cherche la Canorgue au lieu où elle estoit,
Je fuis tout estonné, je n’y vois qu’une place.
L’on dit bien c’est le lieu qu’icelle contenoit,
Mais il n’y apparoist d’Eglise aucune trace.
De celles de sainct Pol, sainct Mathieu, S. François,
La saincte Trinité, de sainct Sauveur, saincte Anne,
De sainct Ruf, de sainct Jean, & de la saincte Croix,
Il ne s’en void aussi qu’une place profane.
 
Venons au general comme au particulier
Ceste Ville n’est plus ce qu’elle souloit estre,
Ce n’est plus aujourd’huy ce fameux Montpellier,
Il ressemble plustost un Village champestre.
 
Car bien que revestu des pierres des Fauxbours
Et richement paré de celles de l’Eglise,
Me semble que je voy habillé de velours
Quelque pauvre Soldat qui n’a point de chemise.
 
Que sont ils devenus Messieurs les Presidens
Et autres Officiers de ces Cours Souveraines ?
Je ne les y vois plus, je n’y treuve dedans
Que Gendarmes, Soldats, Sergents, & Capitaines.
 
Les Messieurs du Chappitre, & les Religieux,
Comme les Magistrats, ne la font plus paroistre
Et ressemble à un corps qui a perdu les yeux
Aussi mal-aisement peut aucun recognoistre.
 
En fin ce pauvre lieu s’est tellement porté
A suivre de Sathan la rage & la malice,
Qui se treuve aujourd’huy à telle extremité
Que s’il ne s’en repent il faudra qu’il perisse.
 
Seigneur, advancez vous, venez leur au devant
Prevenés ces esprits, donnés leur vostre grace
Ostés leur le bandeau qui leurs , yeux va couvrant,
Afin qu’ils puissent voir le traict qui les menasse.
 
Et pour nostre regard, ordonnés, ô grand Dieu,
Que dans bien peu de jours nos devotes Eglises,
Eslevent leurs Clochers encor dedans ce lieu
Et ne soient jamais plus de l’ennemy reprises.
 
Ainsi soit-il.