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L’éclairage urbain

Le gouvernement de la ville au XVIIIe siècle est associé à la métaphore des Lumières. Si les connaissances éclairent les esprits, les lumières des lanternes puis des réverbères amènent, dans les discours officiels et dans les rues, la sûreté et la sécurité. Les administrateurs du Clapas n’échappent pas à ce paradigme.

Les discours sur la nécessité d’éclairer la ville

Le roi impose aux villes du royaume, par un édit de 1697, d’éclairer les rues. Cet édit est l’occasion, comme les offices, de faire rentrer des liquidités dans les caisses du Trésor. Pour autant, la ville de Montpellier abandonne vers 1705-1709 l’éclairage, et ne le réinstaure que dans la décennie 1750-1760, lorsque de Massilian puis Cambacérès réforment et réorganisent le gouvernement de la ville.

L’éclairage est rétabli en 1754. La grande ordonnance du Bureau de police qui fixe le système de l’éclairage des rues date du 24 août 1757. Pour acquérir plus d’autorité, elle est confirmée en 1767 par un arrêt du Parlement de Toulouse.

  • {Arrest de la souveraine cour du parlement de Toulouse du 27 mai 1767, portant Réglement pour l'illumination & conservation des lanternes dans la Ville & Fauxbourgs de Montpellier}
    Arrest de la souveraine cour du parlement de Toulouse du 27 mai 1767, portant Réglement pour l’illumination & conservation des lanternes dans la Ville & Fauxbourgs de Montpellier
    Montpellier, Rochard, 1767
    Archives de Montpellier, FF 246

Légende illustration : Arrest de la souveraine cour du parlement de Toulouse du 27 mai 1767, portant Réglement pour l’illumination & conservation des lanternes dans la Ville & Fauxbourgs de Montpellier, Montpellier, Rochard, 1767, Archives de Montpellier, FF 246.

Le fonctionnement de l’éclairage

L’éclairage repose sur la participation des habitants. Chaque lanterne, puis réverbère, est fermée à clé. Les habitants doivent les allumer lorsque la cloche sonne, et ce entre le premier octobre et le 15 avril, quand les heures nocturnes sont les plus longues.

Éclairage
15 avril – 30 septembre Pas d’éclairage
1er octobre – 15 avril Éclairage, de la tombée de la nuit aux premières lueurs du jour, pas les jours de pleine lune

Les habitants ne peuvent pas refuser, et les îliers sont chargés, tous les jours, de vérifier le bon allumage des lanternes.

C’est un entrepreneur qui fournit les lanternes (qui sont retirées des rues de mai à septembre), les barres de fer, les cordes et l’huile d’olive qui est utilisée dans les villes du Sud du royaume. La Société Royale des Sciences est à l’occasion mobilisée pour donner son avis sur la qualité des huiles ou des mèches, dont certaines sont conservées.

Mèche de lanterne, 1786
Mèche de lanterne, 1786
Archives de Montpellier, FF 227

À partir de 1767, l’entrepreneur de l’allumage paye des allumeurs, souvent des femmes et des enfants, pour suppléer les habitants qui renâclent souvent à effectuer cette tâche pénible. Il est d’ailleurs accusé en 1769 d’avoir substitué de l’huile de poisson à l’huile d’olive, mais il accuse à son tour les allumeurs, qui l’auraient trompé.

Les lanternes et les réverbères deviennent alors un élément essentiel du mobilier urbain qui doit être surveillé car il est précieux. C’est la raison pour laquelle deux inspecteurs du Bureau de police sont spécialisés dans ce domaine en 1777.

Pour autant, la spécialisation n’est pas complète, puisqu’à la fin de l’Ancien Régime et au début de la Révolution, c’est un des deux commis au greffe du Bureau de police qui doit surveiller l’état des réverbères et parcourir les rues avec les commissaires pour s’assurer de leur bon fonctionnement. Le système de l’éclairage n’est donc pas fixé définitivement au cours du XVIIIe siècle dans son fonctionnement, mais il va de soi pour les autorités urbaines que l’éclairage permet la bonne police de la ville, puisque des commissaires sont nommés à partir de 1788 au sein du Bureau de police

« Pour veiller à la Propreté & Liberté des Rues & Illumination des Lanternes à réverbères, Logement des Etrangers & généralement tout ce qui a rapport à la police » [Tableau de MM. les Commissaires. Nommés pour les différentes Commissions du Bureau de Police, pour les années qui ont commencé le 25 mars 1788, & qui finiront le 24 mars de l’année 1790, Montpellier, Jean-François Picot, 1788]

C’est la raison pour laquelle, à côté du principe d’éclairage des rues pour procurer la sûreté, la ville impose à certains particuliers d’éclairer leurs activités. Les entrepreneurs ou maçons doivent éclairer les ruines ou les matériaux laissés dans les rues. Les lieux d’accueil doivent avoir un éclairage particulier qui permet de les identifier, aux frais des tenanciers, et ils doivent d’ailleurs coller leurs affiches ou enseignes contre les murs pour ne pas gêner l’éclairage public.

De manière générale, « l’opinion publique » adhère au principe selon lequel l’éclairage produit la sécurité, ce que certaines enquêtes de criminologie plus modernes tendent à remettre en cause : un agresseur n’est-il pas mieux informé sur sa victime éventuelle si cette dernière est visible ?

L’équipement

La ville de Montpellier dispose, en 1697, de 300 lanternes. Il y en a, vers 1768, environ 600. Elles sont alors progressivement remplacées par des réverbères qui forment en 1789 un éclairage assez complet pour la ville à l’intérieur des anciennes murailles, alors que les faubourgs sont très inégalement éclairés.

La Description de 1768 les décrit ainsi :

« La Ville paye la fourniture et entretien de 600 lanternes, placées dans toutes les rues et faubourgs, qui sont suspendues à des barres ou potences de fer. Ces lanternes ont une lampe de fer blanc, qui donne deux lumions formés de mèches préparées avec de l’huile de térébenthine. Les lampes sont garnies chaque jour d’huile d’olive. Elles éclairent très bien, et ne sont pas sujettes à obscurcir la lumière par le charbon de la mèche, comme il arrive à celles qu’on garnit en chandelles. »

Ce sont des ferblantiers, qui travaillent le fer, qui fournissent les lanternes puis les réverbères. Le modèle n’est pas fixé une fois pour toutes, et l’on sait que des compagnons vitriers, par exemple Jacques-Louis Ménétra qui a écrit un journal autobiographique, sont passés à Montpellier pour y travailler aux lanternes. Ce dernier y aurait importé un modèle parisien, puisqu’il fournit vers 1760 « trois lanternes faites à peu près à la façon de celles de Paris dont la dernière fut reçue par les prévôt et échevins » pour éclairer l’Hôtel de Ville de Montpellier.

Le rapport au public

Le rétablissement de l’éclairage en 1754 ne va pas sans oppositions. Le système imaginé principalement par Cambacérès, qui consiste à impliquer les habitants dans l’allumage des lanternes, fonctionne mal. Il constate dans une lettre à l’intendant les nombreux refus d’allumer, et les explique ainsi :

« dans ce pays cy lhabitant est assez reveche sil voyt quil n’y a que l’artisan qui allume il sera difficile de le luy obliger » [« dans ce pays-ci l’habitant est assez revêche s’il voit qu’il n’y a que l’artisan qui allume il sera difficile de le lui obliger », Lettre de M. de Cambacérès à l’intendant Le Brun, du 11 juillet 1755].

Mais les oppositions vont parfois plus loin, puisque des habitants enlèvent les lanternes ou les brisent. C’est le cas, souvent, de la part de jeunes gens, par exemple en 1763. Au mois de novembre et décembre, quatre jeunes hommes occupés à boire le soir, contestent l’heure de fermeture, et le font en brisant les vitres des lanternes proches du logis de la Souche. Les nommés Bély, fils de la tenancière du logis, Coulazou plâtrier, Sautet et Malichou, sont condamnés pour dégradation des lanternes à rembourser la somme très importante de 1 780 livres et 14 sols.

Un registre des dégradations est alors constitué au sein du greffe de police, et le nombre d’atteintes aux lanternes explique sans doute que le Bureau de police a demandé au parlement de Toulouse de donner plus de force et d’autorité à ses règlements par son arrêt du 27 mai 1767.

Il existe malgré tout une réelle demande sociale pour la sûreté que procurerait l’éclairage des rues. On le remarque à la fois dans les faubourgs, qui sont moins bien éclairés, et dans la ville.

Les demandes émanant des habitants des faubourgs pour obtenir des lanternes ou des réverbères sont ponctuelles et le fruit de besoins très localisés.

Une demande déjà présentée est celle qui émane des habitants de Celleneuve en 1789 et 1790. Ils affirment qu’ils sont, à « l’instar des Citoyens de la ville, qualifiés tels, gouvernés et taxés par les mêmes administrateurs » et que pour cette raison, Celleneuve doit devenir un faubourg de Montpellier. Ils constatent surtout qu’ils ne jouissent pas des mêmes avantages que les habitants de la ville, alors qu’ils contribuent à des objets « d’utilité et de décoration concernant la ville exclusivement ». Leurs demandes consistent donc dans l’établissement de la même « police » que pour la ville, dans la réparation du pavé et dans l’éclairage de Celleneuve.

Mais une des expressions les plus remarquables de la demande d’éclairage intervient au début de la Révolution, en 1789. Le 14 septembre 1789, des commissaires nommés conjointement par l’Assemblée des Représentants de la Commune de Montpellier et le Conseil de Ville assistent les consuls pour effectuer une grande tournée d’inspection dans la ville.

Carte du parcours dans la ville de la tournée d’inspection de l’éclairage public de septembre 1789

La finalité en est d’identifier les lieux dangereux, soit à cause d’un cul-de-sac qui risque de servir d’abri à des personnes non-identifiées – les « étrangers » sont particulièrement visés –, soit à cause du défaut d’éclairage de certaines portions de l’espace urbain. À cette occasion, une partie des habitants, plutôt des propriétaires et des personnes insérées dans les clientèles des dominants, s’expriment. Ainsi, dans la rue des Multipliants se trouve le cul-de-sac Sahuc, « un peu tortueux très sale et mal pavé ».

Plan de Montpellier dit Flandio de la Combe de 1788 entièrement remanié en 1816, détail
Plan de Montpellier dit Flandio de la Combe de 1788 entièrement remanié en 1816, détail
Archives de Montpellier, 2 Fi 498

Les consuls écrivent qu’ils y rencontrent six propriétaires

« qui ne sont pas riches et qui demandent depuis trois années une lanterne qui leur a été otée quoique bien nécessaire, qui contribueront à la claire voye qui est très nécessaire ».

La même demande se reproduit rue St-Paul, dans le cul-de-sac Blary, qui n’est pas éclairé (issue aux n° 243, 244, 245).

Plan de Montpellier dit Flandio de la Combe de 1788 entièrement remanié en 1816, détail
Plan de Montpellier dit Flandio de la Combe de 1788 entièrement remanié en 1816, détail
Archives de Montpellier, 2 Fi 498

Au total, l’éclairage de l’espace public est une question ambivalente. Elle révèle des mouvements contradictoires de refus de contrôle de l’espace urbain par les autorités et une demande sociale qui émane d’une partie des habitants (plutôt des propriétaires) pour procurer la sûreté. Mais la question du financement fait souvent échouer une politique d’équipement qui se veut ambitieuse, ce qui explique que les habitants soient exceptionnellement mis à contribution pour équiper l’espace proche de leur habitation.

Nicolas Vidoni