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Djamel Tatah, le théâtre du silence

10 décembre 2022 – 16 avril 2023

Installé depuis 2019 à Montpellier, Djamel Tatah, né en 1959 à Saint-Chamond, formé à l’école des beaux-arts de Saint-Etienne, élabore depuis les années 1980 une peinture d’une grande sobriété, qui place la figure humaine, évanescente, au cœur de profonds aplats colorés. L’exposition du musée Fabre composée d’une quarantaine d’œuvres, au format souvent monumental, s’attache à mettre en lumière, au sein de cinq sections thématiques, la singularité de l’œuvre de Djamel Tatah, qui confère un rôle central à la question inhérente de la théâtralité. Des toiles historiques y dialoguent avec des toiles récentes, réalisées spécialement pour l’exposition.

Héritier de l’art de la couleur des maîtres du Colorfield américain, l’œuvre des débuts de Djamel Tatah se réfère aux origines de la représentation picturale, que ce soit sur le plan de la primitivité du support (un assemblage de planches de bois qu’il conserve jusqu’en 1996) ou de « l’archaïcité moderne » de ses compositions. De frontales et hiératiques, Tatah évolue progressivement, suite à son passage à l’huile sur toile, vers des figures marquées par une forte gestualité. Inspiré par les corps en mouvement des danseurs, Tatah développe un ensemble d’œuvres mettant en évidence l’abstraction des figures, suspendues dans l’espace monochrome de ses toiles. En lévitation et extraites de tout contexte, elles vont jusqu’à signifier une « forme de disparition de l’être » que l’artiste tente de capter au sein de sa peinture.

Jouant sur les échelles, le dialogue entre les œuvres, à hauteur d’hommes, et le regardeur, le travail de Tatah est profondément théâtral, créant l’effet d’un double absorbement, selon le concept théorisé par le critique Michael Fried : celui des figures plongées dans leur pensée ou leur activité et celui du public à leur contact, leur faisant oublier leur propre existence. L’œuvre de Tatah construit un dialogue muet, au sein de l’espace de l’exposition qu’il met en scène. Introduit quelques années avant les Femmes d’Alger, toile majeure de l’artiste réalisée en 1996, le principe de répétition participe de cette théâtralité et permet d’affirmer la présence des corps tout en mettant à mal leur mimétisme à travers d’infimes nuances. Les silhouettes humaines vont jusqu’à prendre l’aspect d’un élément de décor quasi ornementale, à l’allure de frise, où la répétition affirme la recherche essentielle et universelle, jamais épuisée, de l’expérience du temps. La reprise permanente de motifs issus de photographies qui réapparaissent d’un tableau à l’autre, parfois à plusieurs années d’intervalle, intègre pareillement de ce principe.

In fine, l’exposition donne à voir des toiles qui affirment la présence des figures dont l’artiste recherche une « expression abstraite ». Ses profils peints fonctionnent comme des archétypes que rien ne distingue. Leur visage à l’allure spectrale inspirées par l’histoire de l’art et la tradition orientale, renforce cet effet universel de par leur présence trouble et évanescente qui nous confronte.