Retour à “Une histoire de la pharmacie à Montpellier”

Pharmacie et art moderne

Beau = bon = bien

Jusqu’au XIXe siècle, art et pharmacie entretiennent une relation étroite : au moment où les apothicaires droguistes et herboristes confectionnaient et vendaient des couleurs, cette entente de bon aloi se manifeste dans le soin apporté aux décors. Les vases et les pots participent à l’embellissement de la boutique, gage de qualité des produits pharmaceutiques et de bon commerce.

L’industrialisation des procédés chimiques, la création de laboratoires pharmaceutiques et la mise en place d’un conditionnement produit à la chaîne font disparaître les pots à pharmacie. Certains pharmaciens persistent, jusqu’au XXe siècle, à décorer leurs vitrines de pots de montre parfois spectaculaires, partant du principe que le beau participe du bon et réciproquement. Mais ces pots sont tournés mécaniquement et les inscriptions qu’ils arborent ne renvoient qu’à des intérieurs vides.

Pharmacie Joseph Cellier à Montpellier
Pharmacie Joseph Cellier à Montpellier
Dans la vitrine, trônent deux monumentaux vases de verre cylindriques munis de leur couvercle, XXe siècle, photographie, Montpellier, collection particulière

Pharmacie moderne et art

Art moderne et pharmacie

L’apothicaire, fréquemment confondu avec l’alchimiste, a souvent figuré dans les scènes de genre des peintres, notamment nordiques.

Devenu pharmacien, il fascine plus les écrivains que les peintres. Gustave Flaubert le rend célèbre, bien que caricatural, à travers le caractère de M. Homais, personnage du roman Madame Bovary.

Le poète Charles Baudelaire, quant à lui, montre dans Les Paradis artificiels la relation entre les drogues et l’inspiration créatrice qui n’a cessé de nourrir des expériences transgressives.

Années 80

Apparition du SIDA

Le médicament est redevenu fortement présent dans la sphère artistique à partir des années 1980. L’apparition notamment du SIDA provoque une mobilisation du milieu artistique. Alors que l’on pensait le design industriel et les univers aseptisés de la médecine peu inspirants, ce sont précisément de ses symboles dont s’emparent les artistes pour les détourner ou le reformuler dans des propositions créatives.

Ainsi le collectif canadien General Idea fait figure de pionnier en changeant les lettres de la sculpture iconique LOVE de Robert Indiana avec celles de l’acronyme AIDS ou SIDA en anglais, plusieurs œuvres intitulées Pills, insistant sur la quantité de remèdes à ingérer par les malades.

  • General Idea, One Year of AZT, 1991
    General Idea, One Year of AZT, 1991
    1,825 units of vacuum-formed styrene with vinyl wall-mounted capsules, each
    National Gallery of Canada
  • General Idea, {AIDS}
    General Idea, AIDS

Les Pharmacies de Damien Hirst

Dans un autre registre, les Young British Artists se passionnent pour les intérieurs blancs, feutrés et aseptisés des pharmacies de nos sociétés occidentales contemporaines. Damien Hirst les met en scène, obsessionnellement, grandeur nature, dans plusieurs de ses œuvres installations, donnant à analyser à travers ses recréations ce que ces espaces de notre environnement quotidien disent de nos représentations ou de nos projections collectives, ainsi de même que des différentes perceptions qu’elles peuvent susciter, depuis le réconfort jusqu’à l’anxiété.

  • Damien Hirst, {Pharmacy}
    Damien Hirst, Pharmacy
  • Damien Hirst, {Pharmacy2}
    Damien Hirst, Pharmacy2

Fin 2015, l’artiste contemporain Damien Hirst partage publiquement sa collection d’œuvres d’art personnelle. Elles sont donc exposées à la Newport Street Gallery, un espace situé dans le quartier londonien de Vauxhall. Il ouvre à côté un restaurant, Pharmacy2 aux couleurs flashy, dont la décoration est axée sur le thème de la pharmacie.

De l’art de dorer la pilule

De la sorte, l’évolution des procédés de fabrication a distendu les liens qui unissaient à travers la qualité des contenants les arts et la pharmacie. La relation entre arts et pharmacie s’est alors recentrée dans les interrogations, voire la créativité, suscitées par les substances actives des contenus, que le dosage fait osciller entre remède et drogue et, plus largement, sur la place occupée par la sphère pharmaceutique dans notre quotidien et nos comportements.

Au sein de ce vaste champ, l’artiste Jeanne Susplugas a construit patiemment sa propre réflexion artistique et nous convie à la découvrir, dans le cadre d’une déambulation au sein de l’Hôtel de Cabrières – Sabatier d’Espeyran, articulant l’esthétique à l’éthique, le plaisir des sens à celui de l’esprit, la réflexion à l’inquiétude.