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Correspondance

Frédéric Bazille enfant à sa grand-mère

Paris, 1846 ou 1849

Chère bonne maman

Je pense que cette lettre te ferait plaisir j’ai été au jardin des plante ça m’a beaucoup amusé il y avait une baleine en squelette papa jetait du sucre le gros singe le prenait et le petit n’en pouvait point manger et ça me faisait beaucoup de peine et tout le monde riait j’ai lu moi-même le nom du lama je ne suis pas encore bien savant mais je maplique bien pour savoir lire quan je viendrai j’ai été voir lhipodrome je me suis bien amusé je suis monté au panthéon c’était bien haut il y a quatre cent escaliers chère bonne maman il me tarde bien de te voir je pense que tu me fera lire des jolis histoire quand je serai à montpellier george mécrit beaucoup de lettres je te prie de lui faire mes compliments et à jeane maurice et marguerite dis à marie et jeaneton que je serai content de les revoir quant tu iras te promener à la campagne de tata Grand tu lui feras un baiser aussi a bon papa mon oncle Vialars et tata Adrienne.

Adieu je t’embrasse avec Marc

Frédéric Bazille

Télégramme de Gaston Bazille à Edmond Maître lui annonçant la mort de Frédéric

8 janvier 1971

Gaston Bazille [à Edmond Maître ?]

2 février 1871

Montpellier, 2 février 1871

Cher monsieur, votre lettre de la fin de décembre m’est parvenue dans les premiers jours de janvier, je vous expédiai de suite une dépêche télégraphique, il est fort probable qu’elle ne vous soit pas parvenue. Je profite de l’armistice pour vous annoncer l’affreux malheur qui nous a frappés ; mon cher Frédéric est mort en héros, tué de deux balles à l’attaque de Beaune-la-Rolande, le 28 novembre. Malgré l’occupation prussienne et des difficultés de tout genre, j’ai pu après dix jours, retrouver sur le champ de bataille, parfaitement intact, dans la fosse où il avait été inhumé, le corps de mon cher enfant. J’ai suivi à pied pendant cinq jours dans la neige , l’humble charrette, le seul véhicule que j’avais pu me procurer à Beaune qui portait le cercueil de ce brave soldat, le chemin de fer ne marchait qu’à Issoudin . La mort de Frédéric a été pour Montpellier un deuil public ; il était adoré dans son régiment, comme tant d’autres, il aurait pu facilement avoir un grade dans un état-major, ou attendre tranquillement ici le départ des gardes nationaux mobilisés. Il a voulu servir son pays dès le premier danger ; il est allé un mois environ en Afrique du 15 août au 15 septembre, puis un mois à Montpellier où le 3e Zouave était venu se former, une quarantaine de jours près de Besançon, enfin transporté avec tout un corps d’armée à Gien , il a été frappé quelques jours après, à la tête de son régiment, tout près des murs crénelés de Beaune la Rolande. Le 3e Zouave a été cruellement éprouvé dans cette attaque. J’ai vu à Beaune et plus tard à Montpellier bien des soldats de ce régiment ; tous étaient pleins d’admiration pour Frédéric et m’en parlaient avec les yeux pleins de larmes ; il s’était fait adorer par ses frères d’armes. Il était sergent fourrier, menant à l’attaque une partie de sa compagnie et ses derniers mots à ses soldats, l’un d’eux me les a répétés : « si nous pénétrons dans la ville, fesons (sic) nous tuer, il le faut, c’est notre métier ; mais à aucun prix ne tirons sur des maisons où il y aurait des femmes ou des enfants. »

Grâce au froid très vif qu’il avait fait, et sur les indications des hommes requis pour enterrer les morts après la bataille, j’ai fait ouvrir la fosse où mon noble fils avait été placé avec une une vingtaine d’hommes, certain de le reconnaître. Son beau visage était aussi calme aussi pur qu’au moment où il avait été frappé ; ce fut certes un moment très affreux pour un père que de retrouver et reprendre son fils au milieu de ces cadavres ; mais aussi quelle profonde satisfaction de le revoir encore, et de le presser dans mes bras. J’ai eu comme tout le monde dans la vie des jours heureux et malheureux ; mais je ne changerai pas la plus belle journée pour celle où j’ai pu retrouver et embrasser mon fils mort.

Vous qui le connaissiez intimement vous comprenez mieux qu’un autre la perte que nous avons faite.

Frédéric avait tout pour lui : force, jeunesse, intelligence, talent. Il a sacrifié un brillant avenir sans hésiter une minute ; et si vous aviez vu avec quelle simplicité il a agi ! sans se faire valoir, trouvant son dévouement à son pays tout naturel. Ah oui ! c’était un noble cœur et un beau caractère.

On nous dit pour nous consoler, à sa mère et à moi : la mort de votre fils a été glorieuse. Sans doute, mais ce n’est pas moins la mort, et jusqu’à la fin de notre vie nous plierons sous le poids de cette immense douleur.

Quand nous serons revenu à un temps plus calme, je vous prierai , cher Monsieur, de vouloir bien nous faire parvenir toutes les toiles, toutes les œuvres que mon fils avait dans son atelier ; vous voudriez bien aussi, je vous prie, prévenir le propriétaire de l’atelier pour qu’à la fin de l’année de bail, il reprenne possession de ce lieu. Frédéric avait sans doute quelque petits comptes chez divers marchands ; vous me rendrez aussi un bien grand service, de me faire savoir ce qui leur est dû, de manière à ce que je puisse les désintéresser mais sans être trompé par eux, il me serait bien difficile de vérifier les comptes.

Adieu, mon cher Monsieur, je connais toute l’affection que vous portiez à mon cher Frédéric, je comprends combien cette lettre vous rendra malheureux , Veuillez je vous prie, faire savoir la fatale nouvelle aux autres amis de Frédéric. Je vous embrasse de tout mon cœur,

Frédéric Bazille à Edmond Maître

2 août 1870

2 août [1870] / Mon cher ami

Que dites-vous, que faites-vous, vous seriez bien aimable de m’écrire. Une lettre de vous me ferait bien plaisir. En ce moment surtout, je la dégusterais et la ferais durer longtemps. Je suis absolument seul à la campagne. Mes cousines et mon frère sont aux eaux, mon père et ma mère habitent la ville. Cette solitude me plaît infiniment ; elle me fait beaucoup travailler, et beaucoup lire. J’ai fini à peu près un grand paysage (églogue), une étude de jeune homme nu, Ruth et Booz sont à moitié chemin, et j’ai commencé ces jours-ci Gertrude et le père Lapin, afin d’avoir des toiles pour tous les goûts. Vous voyez que cette année je brillerai au moins par la quantité de mes œuvres. Tout cela n’est guère intéressant en ce moment, ni jamais, mais enfin je sors par instants de l’exaspération où me jettent Bonaparte et Bismarck. Ces égorgements perfectionnés m’épouvantent. Décidément jamais je ne crierai vive aucune guerre, j’ai entendu ce cri huit jours de suite à Montpellier. Les idiots qui le vociféraient seront dans six mois à demi-prussiens ou complètement embonapartisés – beaux résultats – sans compter que voilà huit ou dix parents ou amis sur le Rhin, entre autres le beau-frère de mon frère. Votre frère l’artilleur y est peut-être, dites-le-moi, et aussi si Verlaine est garde-mobile. Donnez-moi des nouvelles de nos amis. Fantin a-t-il commencé quelque chose pour le prochain salon ? Je pense que Manet abandonne les champs de Marathon pour le palatinat, faut de la fraîcheur dans les sujets. Monet fait-il le Portrait de Madame de Metternich, ou entre-t-il à l’Hôpital ? Renoir doit être près d’être père, accouchera-t-il d’un tableau ? Je ne vous charge pas de vous informer de Sisley, je sais bien ce qu’il fait… »

Je suis bien sevré de musique, vous me feriez grand plaisir de m’expédier par la poste le Faust de Schumann […]

Je vous embrasse ainsi que Rapha.

FB

Frédéric Bazille à ses parents, Camp de Bouloi

27 octobre 1870

27 octobre. J’espère que je vous donne souvent de mes nouvelles. Les prussiens ou du moins les généraux, nous laissent des loisirs. Loisirs peu agréables il est vrai. Car je passe ma journée entière à courrir (sic) pour ma compagnie. Il fait depuis notre arrivée un temps épouvantable, pluie et vents continuels, depuis hier le froid s’en mêle. Nous sommes à deux pas de Besançon errants sans motifs, de campement en campement. Je pense qu’au lieu de nous faire attaquer les Prussiens tout de suite, attendre qu’ils soient bien rassemblés et deux fois plus nombreux que nous. Le chiffre des troupes présentes à Besançon est beaucoup plus faible que je ne vous l’avais dit. Il y a tout au plus 25000 hommes. Garibaldi est, dit-on, à Grez, avec une quinzaine de mille hommes. Il arrive tous les jours des accidents avec les fusils. Avant-hier, deux hommes ont été blessés du même coup de maladroit, l’un d’eux est mort des suites d’une amputation. Hier, un autre est mort sur le coup. La petite affaire de nos deux premiers bataillons n’a été malheureuse pour aucune de nos connaissances du régiment. Nous avons eu en tout une 20e de blessés et trois ou quatre morts.

Le pays serait très beau si quelques rayons de soleil l’éclairaient. Les paysans déménagent tant qu’ils peuvent, il ne reste presque rien dans les fermes. Quand je peux, je couche dans une grange ou une écurie.

J’ai causé deux minutes il y a deux jours avec le fils Berthézène, qui est dans un régiment de chasseurs. Il se porte bien. En ce moment il pleut à torrents, mon bataillon se sépare des deux autres, campe sur une hauteur couverte de prés, de champs de betteraves ou de panais. Moi, je suis dans une petite ferme encombrée de zouaves, de soldats et de paysans. Je viens de faire les bons de vivres etc que je dois préparer chaque jour, et je vous écris d’une petite chambre fermée où je suis à peu près tranquille. Au dehors on patauge dans la boue, l’herbe des prés où nous passons perd sa couleur, nous faisons autant de mal que les prussiens. Il est deux, heures, quand il en sera cinq nous partirons pour un village voisin, où nous passerons la nuit, non pas sous la tente, mais bivouaquées, c’est-à-dire sous les armes et autour de grands feux. Si la pluie ne cesse pas, ce sera assez dur.

Je ne connais pas le moins du monde la ville de Besançon, il est défendu d’y entrer, et même d’en sortir, je ne sais pourquoi. Pendant que nous gardons la ville, les prussiens filent à quelques lieues devant nous, vers Dijon en plaine. Je ne sais trop comment on va nous employer.

Les troupes qui sont ici avec nous ne doivent pas être bien fameuses, car on nous tient en troisième ligne, c’est à dire en réserve, ce que l’on fait généralement avec les meilleures troupes et les plus solides. Je suis convaincu que notre régiment se conduira fort bien mais les petites marches et les changements de position inutiles qu’on nous fait faire ennuient beaucoup les hommes et leur enlèvent un peu leur premier feu. Exemple : le 1er bataillon campe sur une hauteur, le 3e va le remplacer, et le 2e va à la place du 3e, et le 1er à la place du 2e. Nous ne faisons pas autre chose depuis notre arrivée. Comme il y a souvent des erreurs dans ces déplacements, il faut toutes les fois que cela arrive, recommencer un mouvement quand on est installé depuis une heure.

Nous n’avons aucune espèce de nouvelle, de nulle part. On dit que Bazaine a eu un grand succès. De notre côté les prussiens sont loin de se retirer. Je cherche ce que je pourrai bien vous apprendre sur mon sort, mais rien. Toujours pluie monotone, froid aux pieds. Je m’ennuie, et ne croyais pas souffrir de ce mal là, en guerre.

Je vous embrasse tous, des petits aux grands,

Camp du Bouloi, le 27 octobre

Frédéric Bazille.

Mettre pour mon adresse

Mr F Bazille, sergent fourrier au 3e zouaves de marche 3e bataillon 2e compagnie

Edmont Maître à Gaston Bazille

31 décembre 1870

« Paris, le 31 décembre 1870 / Monsieur

Vous [m’excuserez], je pense, la liberté que je prends de vous écrire pour vous demander des nouvelles de Frédéric. Enfermé dans Paris et réduit à une solitude horrible, j’apprendrais avec bien du plaisir qu’il s’est tiré d’affaire en ces calamités, lui qui est de tous mes amis, celui que je préfère.

Ne pourriez-vous m’adresser à tout hasard un télégramme qui me rassurerait à son endroit ?

Toutes les personnes que je vois ont reçu plus ou moins souvent, mais ont reçu en général des nouvelles de la province et je n’en ai eu aucune depuis le 10 sept, ce n’est pas la moindre des souffrances que j’éprouve. [?].

Le bombardement des forts et avancées de Paris a commencé avant hier par l’Est ; je ne crois pas, en dépit de la canonnade très vive de l’ennemi, que son intention soit de prendre Paris d’assaut, encore moins de l’incendier.

Il veut, je pense, en nous intimidant nous forcer à demeurer dans nos lignes et se garer de nos sorties qu’il ne refoule qu’au prix de grandes pertes ; il nous réduira ainsi à consommer nos derniers vivres dans l’inaction. Quoi qu’en disent les optimistes, il se pourrait que la famine eut raison de Paris avant la fin de janvier. Qu’adviendra-t-il ensuite ?

Veuillez, Monsieur, présenter mes hommages à Mme Bazille et me rappeler au souvenir de toute votre charmante famille dont je n’ai pas […] la cordiale hospitalité.

Croyez, Monsieur, à mes meilleurs sentiments.

Edmond Maître

M. Maître, r. Taranne n° 5 à Paris

Bon de vivres

18 novembre 1870

[Au dos, inscription au crayon, écriture de Bazille ou transcription ?]

Nous sommes arrivés à Gien cette nuit. Il y a un bataillon du 3e […], mais Robert [Lejosne (écriture bleue)] n’y est pas. Je me porte toujours très bien. Nous sommes une grande masse de troupes.

Baiser à tous

Vendredi 18 nov

F Bazille

Gaston Bazille à Edmond Maître

25 février 1871

Montpellier ; 25 Février 1871 / Cher Monsieur

J’ai reçu [vos deux] lettres, et j’ai été bien ému de votre chagrin. Je n’en doutais pas du reste ; je savais votre amitié pour Frédéric, et comprenais bien que sa mort allait faire dans votre vie un vide cruel. Sa mère et moi ne pouvons ? à notre malheur ; et il nous semble toujours que notre cher enfant est à Paris, comme …, et que nous le verrons encore venir aimer notre maison de sa joyeuse présence. Hélas, les jours et les mois passeront et nous ne verrons plus ce gracieux sourire

Gaston Bazille à Edmond Maître

8 juin 1871

Montpellier 8 juin 1871 / Mon cher Monsieur

Maintenant que le calme succède à cette horrible tourmente, je serais bien heureux si vous vouliez bien nous donner de vos nouvelles. Depuis que mon fils Marc a quitté Paris, je n’ai plus reçu de lettres, je n’ai plus aucune nouvelle directe de Paris. Il me tarde de savoir si vous n’avez pas souffert, si vous n’avez pas été inquiété après les angoisses du siège, avoir supporté toutes ces horreurs de la guerre civile […] et j’ai souvent pensé à vous pendant ces derniers mois.

Pour nous, notre santé est bonne mais vous le comprenez facilement, notre maison est triste et sans les caresses de mes petits enfants qui viennent faire diversion à notre chagrin, nous serions bien malheureux.

Les tableaux de Frédéric sont rangés dans mon cabinet et dans notre salon, son portrait qu’il nous avait donné il y a deux ou trois ans est constamment sous mes yeux ; je me suis entouré de tout ce qui nous reste de ce cher enfant ; sa palette, son sabre de zouave, sont suspendus au chevet de mon lit ; ma pensée ne peut s’écarter un instant de mon fils, qu’il serait malheureux qu’il voyait ce Paris qu’il aimait tant, en partie incendié, dévasté.

Je m’occupe depuis deux ou trois mois d’acheter le terrain […] de Beaune-la-Rolande, où Frédéric a été frappé de deux balles, je n’ai pu encore réussir ; ce terrain est [indivis] entre divers copropriétaires ; il faut acheter aussi un droit de passage pour y arriver ; tout cela est compliqué ; j’espère cependant atteindre mon but.

Marc me charge de se rappeler à votre bon souvenir ; il nous a beaucoup parlé d’un beau portrait de Frédéric par Fantin ; Marc pensait qu’il pourrait peut-être acheter ce tableau à M. Fantin, si l’occasion s’en présentait, [vous] pourriez […] possible, me dire si en effet, M Fantin serait disposé à vendre ce tableau.

Ayez la bonté cher Monsieur, de nous donner de vos nouvelles ; j’espère qu’elles seront bonne. Madame Bazille et moi nous vous envoyons nos meilleures amitiés, je vous serre la main bien affectueusement.

Gaston Bazille