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Au fil des collections

Né en 1953 à Paris, Dominique Gauthier vit et travaille à Lavérune, aux portes de Montpellier. Formé aux Arts décoratifs de Limoges puis à l’Ecole d’art de Marseille-Luminy auprès de Claude Viallat, il fut défendu par le galeriste Jean Fournier dès ses premiers travaux, des Opéras au format monumental composés d’un assemblage de toiles et de matériaux mixtes. Alors qu’une œuvre de cette série a rejoint dès 1982 les collections du musée Fabre, suivie d’une seconde au début des années 2000, l’artiste a honoré le musée, en 2021, d’une donation exceptionnelle de près d’une dizaine de toiles et d’une quarantaine d’œuvres graphiques, donnant à voir la diversité de sa pratique picturale. Celle-ci évolue entre différentes périodes, d’une matière épaisse et organique notable dans les Provisions après Cimabue à une rigueur abstraite et géométrique dans L’Hostinato, multipliant les références aux arts, à l’histoire, à la métaphysique, jusqu’à puiser dans l’univers encyclopédique.

Cette œuvre protéiforme, marqué par un va-et-vient entre l’exubérance du geste, des couleurs et des formats et l’austérité des formes géométriques incessamment reprises, est mis à l’honneur au musée Fabre au sein de six salles du parcours des collections permanentes (salles 2 et 48 à 52).

Atrium

En 1991, Dominique Gauthier démarre le cycle de « L’Hostinato », l’un des plus constants dans son parcours. Réalisés à l’aide de clous et de cordelettes, les tableaux de cet ensemble, dont le titre fait référence à la devise Hostinato rigore de Léonard de Vinci, répètent de manière « obstinée » une même forme circulaire et elliptique, à l’image des compositions musicales qui procèdent de l’ostinato.

Hostinato
Dominique Gauthier
Hostinato, 1992-2001
Acrylique, crayon de maçon sur toile, 350 cm × 350 cm
2021.13.4
Don de l’artiste, 2021

La question du rythme sonore est au cœur de l’œuvre du peintre, qui travaille en musique, tout comme dans « Les Orphiques » et « Les Enchantés », ces derniers étant créés à l’aide d’un compas fabriqué par l’artiste. Ces toiles comptent parmi les plus grands formats utilisés par le peintre, de par l’action démultiplicatrice de l’instrument. Celui-ci prive la main du peintre de toute autonomie, « mise à l’épreuve de mouvements tourbillonnaires », où le geste équivaut à une durée, marqué par le passage cyclique du temps.

Les Enchantés
Dominique Gauthier
Les Enchantés, 2006
Acrylique et résine sur toile, 180 cm × 425 cm
2021.12.2
Don de la fondation d’entreprise du musée Fabre après achat auprès de l’artiste, 2021

Face à ces œuvres monumentales, qui se déploient dans tout l’espace de la pièce, l’artiste, tout comme le visiteur, ne se trouve pas devant mais dans le paysage de la peinture.

Salle Fournier

Alors tout juste installé dans un atelier rue Chaptal à Montpellier, après avoir été nommé professeur à l’École des beaux-arts de Montpellier en 1979, Dominique Gauthier débute en 1980 l’ensemble des « Opéras », qu’il présente la même année à la Biennale de Venise. Caractérisés par leur monumentalité, l’exubérance des couleurs et l’hétérogénéité de leurs matériaux, « Les Opéras » de Dominique Gauthier se déploient sur le mur, sans châssis. Les formes libres issues du découpage et de l’assemblage de fragments de toile créent une rythmique et un déséquilibre spatial évocateur d’un tourbillon musical orchestré par l’artiste, qui associe leur titre à « un projet artistique total lié […] à la civilisation industrielle, à la sonorité et à la décadence ». Certaines pièces de cet ensemble furent exposées dès 1981 chez le galeriste parisien Jean Fournier, qui fit don de l’une d’entre elles en 2005 au musée Fabre. À cette époque, Gauthier est associé à la « nouvelle vague baroque » ainsi qu’aux « nouveaux fauves » qui rompent avec la rigueur et l’austérité minimale de l’art des années 1960 et 1970.

Une minute, un métier, une œuvre
Avec Maud Marron-Wojewodzki et Marina Bousvarou

Déclinaisons issues des « Opéras », Les Mandylions, plus récents, renouent avec des références sacrées liées aux origines de la représentation picturale tout en s’inscrivant dans la lignée des papiers découpés d’Henri Matisse. A l’organisation complexe, ils témoignent d’une même exubérance à travers l’enchevêtrement des fines coulures de peinture et des imposantes formes découpées reportées en un léger décalage. L’opération de report, laissant visible la silhouette des formes découpées, joue sur les profondeurs de la peinture tout en mettant en relief le processus d’apparition des figures.

Les Mandylions
Dominique Gauthier
Les Mandylions, 2017
Acrylique, huile et résine sur toile, 300 cm × 200 cm
2021.13.8
Don de l’artiste, 2021

Salle 49

C’est en 1987 qu’émerge la série des « Effrois (pour Bellini) », basculement formel qu’accompagnent de nombreux autres ensembles, dont « Les Jardins après Auschwitz » et, l’année suivante, « Les Provisions après Cimabue ». Tous sont marqués par un retour au cadre induit par le recours au châssis et une peinture épaisse et fluide, où l’application de résine par endroits confère un caractère organique à la surface. Cette matière disparate et fragmentaire peut être rapprochée d’une abstraction dite de « plate-forme », composée par l’accumulation de couches et de textures. Ces différents ensembles, qui s’épanouissent durant la seconde moitié des années 1980, témoignent d’une référence à la peinture religieuse et à l’art des primitifs italiens, que ce soit dans les titres, les formes sacrées de la crucifixion – récurrentes – ou dans les tonalités colorées, mates et denses. Les compositions de Gauthier se structurent davantage et s’économisent, donnant à sa peinture une solennité figée qui rompt avec le sens du mouvement des ensembles précédents.

  • Les Effrois (pour Bellini)
    Dominique Gauthier
    Les Effrois (pour Bellini), 1987
    Résine et huile sur toile marouflée sur bois, 155 cm × 153 cm
    2021.36.2
    Don en hommage à Mme Nicole Sanguinède, 2021
  • Les Provisions après Cimabue
    Dominique Gauthier
    Les Provisions après Cimabue, 1988-1989
    Acrylique, stuc et résine sur toile, 250 cm × 230 cm
    2021.13.1
    Don de l’artiste, 2021

Salle 50

Les Opéras idéogrammes I
Dominique Gauthier
Les Opéras idéogrammes I, 1984-1985
Collage, encre et aquarelle sur papier de soie, 100 cm × 65 cm
2021.13.15
Don de l’artiste, 2021

L’ensemble des « Opéras idéogrammes » a pris forme entre 1984 et 1986, alors que Dominique Gauthier poursuivait l’idée d’« impliquer des figurations dans une composition abstraite ». L’artiste recourt à un dispositif inédit, celui d’un contrecollage de papiers de soie dont le rendu final participe de façon sensible à la qualité esthétique des œuvres. L’artiste souligne l’apparente fragilité du support en y apposant un aplat d’enduit de fresque coloré, dont il apprécie les qualités physique et plastique. Le protocole régulateur pour le « dessin » proprement dit demeure le collage et l’assemblage.

Les figures sont prises dans les ouvrages de référence qui habitent le désir encyclopédique de Gauthier : parmi eux, un Larousse encyclopédique de la fin du XIXe siècle, un livre de photographies sur les champs de bataille et l’historique des conflits de 1914-1918, un deuxième sur les débuts de l’Union soviétique, un troisième sur l’ascension du Mont Everest et sur le Tibet, enfin des cartes postales anciennes, des planches anatomiques maniéristes. Les différents dessins, disposés sur plusieurs tables afin de pouvoir y revenir de manière synchrone, ont été exécutés dans le temps « étiré, entre voyages ou attentes » afin de produire dans leur synthèse, avec les couleurs ou les signes dessinés au crayon ou à l’encre, une unité ancrée dans la diversité.

Salle 51

La pratique du dessin est continue dans la carrière de Dominique Gauthier. Exécutés entre 1987 et 1989, Les Énoncés, formés de deux traits perpendiculaires, convoquent un espace orthonormé dans lequel l’artiste suspend ou fait glisser des formes colorées avec élégance et délicatesse, oscillant entre le rond et le carré. Le titre donne à penser à un postulat de départ, à une question ou à un cadre intellectuel qui délimite une portion d’imaginaire, évoquant les intitulés de Marcel Duchamp.

Luz Organa Rotonda, série présentée ici à travers seize éléments mais qui se déploie bien au-delà (il en existe plus de 3 000 pièces), marque quant à elle la production des années 1990. L’artiste intègre dans son travail le principe de la symétrie afin d’en explorer le potentiel programmatique qui s’accompagne de la technique de pliage. Ainsi, la ligne graphique, tracée à la plume et encre de Chine, enchaîne sans trembler les boucles, aboutissant à une figure infiniment finie. Le titre de l’ensemble découle de la passion de l’artiste pour la diversité des sources d’inspiration et leur synthèse : en hébreu, luz pour « lumière » ou « os » ; en espagnol, organa pour le rapport incarné à l’œuvre, enfin rotonda en référence et hommage à la Villa Rotonda – exécutée par l’architecte italien Andrea Palladio, en Vénétie – et à son principe de symétrie.

Luz Organa rotonda
Dominique Gauthier
Luz Organa rotonda, 1995-1996
Sélection de seize encres sur papier, 29 cm × 21 cm
2021.13.27
Don de l’artiste, 2021

En 2003, Dominique Gauthier met en place un dispositif scénique permettant à l’œuvre d’apparaître en son absence. Il donne lieu à l’ensemble des « Réponses » : une vingtaine de sacs en plastique, accrochés aux bras d’un semblant de lustre circulaire suspendu au plafond, sont remplis de peinture de différentes couleurs issue des restes et résidus de la palette de l’atelier, puis percés d’un coup d’épingle. La couleur vient alors se répandre goutte à goutte sur la toile placée en dessous, devenant le terrain, le « sol de déposition » de la peinture, selon les termes de l’artiste. Généralement conçues dans son atelier à Lavérune, alors que l’artiste est professeur à l’École des beaux-arts de Paris et s’y déplace régulièrement, ses œuvres ont à voir avec les images acheiropoïètes, créées en l’absence de la main de l’homme. Sur de profonds aplats, encadrés d’une bande peinte une fois le processus terminé par l’artiste, les pigments colorés se répandent et se mêlent dans une temporalité silencieuse, faisant advenir l’immanence de la peinture.

Les Réponses
Dominique Gauthier
Les Réponses, 2003
Acrylique, laque et résine sur toile, 200 cm × 195 cm
2021.13.7
Don de l’artiste, 2021

Salle 52

Les Orphiques III s’inscrivent dans la lignée de « L’Hostinato », ensemble majeur de la carrière de l’artiste où le principe démultiplicateur du tracé s’opère pareillement à l’aide de clous et d’une cordelette. Le geste s’émancipe néanmoins ici progressivement de la forme circulaire géométrique. Il est en outre associé à la méthode du pliage qui crée une succession de bandes horizontales blanches et colorées, en hommage à l’œuvre de Michel Parmentier et de Simon Hantaï, que Dominique Gauthier a côtoyé chez Jean Fournier.

Avec l’ensemble graphique des Énoncés Histoires qui court sur les vingt dernières années de carrière de l’artiste et qui est donc contemporain des Orphiques III, les figures géométriques, pleines ou vides, et les lignes serpentines qui se referment sur elles-mêmes à force de tourbillons, se juxtaposent et s’entrecroisent. Elles créent, par voie d’accumulation, comme s’il s’agissait de bribes d’histoires ou de pièces, un monument ou un grand récit qui gagnerait sa forme au fur et à mesure de son échafaudage ou de son écriture.

Les Orphiques <span class="caps">III</span>
Dominique Gauthier
Les Orphiques III, 2018
Acrylique, laque et vernis sur toile, 265 cm × 200 cm
2021.13.6
Don de l’artiste, 2021