Retour à “Saison contemporaine”

André-Pierre Arnal

Depuis la fin des années 1970, Arnal n’a eu de cesse d’expérimenter une variété de techniques, des « Ficelages » aux « Pochoirs » jusqu’aux « Arrachements » en 1988. Le développement de la pratique du collage, qui connaît de nombreuses variantes dans l’œuvre de l’artiste, va de pair avec l’intérêt toujours renouvelé qu’il porte au support papier, manipulé, fragmenté, déchiré, recollé. Il écrit en ce sens : « Le papier est une peau. Elle est souple, vivante, capable de déchirures, de blessures, de sentiments tout proches de l’humain, entre la tendresse et la douleur, offerte aux caprices de l’artiste dans un rapport de confiance, de dignité et d’ardente connivence à la création d’une œuvre. »

La primordialité du geste élémentaire rejoint des préoccupations partagées par les artistes du mouvement Supports/Surfaces, dont André-Pierre Arnal. Ce dernier, né en 1939 à Nîmes, vit et travaille à Montpellier, dans les Cévennes, ainsi qu’à Paris. Après un bref passage par Montpellier, il prend part à l’aventure du groupe en 1971 : l’utilisation de la toile libre, le refus du pinceau, la banalité du matériau, sont autant de moyens pour laisser visible et immédiatement perceptible la manière dont la toile est faite.

Pliage
André-Pierre Arnal
Pliage, 1970
Peinture acrylique aérosol sur toile libre, 216 cm × 216 cm
Inv 2019.5.1
Musée Fabre

« Tout ce que j’ai peint m’étonne : je le regarde comme l’inventaire progressif d’un univers confus, et pourtant tout proche de moi ; ce vaste chaos mouvant dont je suis le locataire temporaire. Je voudrais imaginer (en créant une image) un moyen de signaler et de faire durer mon existence, avec l’ambition que cet univers d’images devienne univers de référence, langage possible. »

André-Pierre Arnal, février 1968

La question du protocole est également au cœur de son travail : en 1968, il débute la série des « frottages », des « fripages » et des « froissages », avant d’approfondir le « pliage comme méthode ». Les « fripages » sont des boules de tissu trempées dans un bain de teinture, séchées et dépliées, qui confèrent une forme au hasard.

De ce procédé émergent l’année suivante, dans la lignée de Simon Hantaï, les premiers « froissages », dans lesquels la toile froissée est colorée de manière partielle, laissant en réserve les zones où la toile est repliée de manière aléatoire. Le déploiement des formes froissées sur toute la surface empêche dès lors toute possibilité de focalisation.

« Traces du corps-mémoire », selon les termes de Michaël Glück, les éclats de couleurs appliquées successivement parsèment la toile, s’y dispersent au sein d’un réseau de lignes denses et entremêlées qui imprègne le tissu.

Débutée en 1970, la technique du pliage sur toile s’effectue par investissement physique de l’artiste jusqu’au centre du support, « sorte de point d’attache avec le sol, un lieu de contradiction, de limite. Chaque pliage réduit la surface dans un rapport simple, en général de moitié. Et les gestes du corps suivent logiquement cette mesure ».

André-Pierre Arnal a recours à un format qui est d’envergure corporelle et qu’il surplombe. Le pliage, effectué sur le sol, découpe la surface en formes géométriques peintes à la bombe aérosol et crée des rapports de formes simples, dans lesquels chaque étape de pliage est associée à l’application d’une couleur. Les pliages sur papier, contemporains, reproduisent ces mêmes rapports, mais à l’échelle de la main ou de l’avant-bras. Le développement dans l’espace et le rythme créé par la succession des peintures aérosols, produites de manière quasi sérielle, est une donnée importante du travail de l’artiste : « chacune de mes peintures […] n’est qu’un morceau d’un grand ensemble qui se développe dans le temps et dans l’espace » confiait-il en 1990.

  • Pliage
    André-Pierre Arnal
    Pliage, 1970
    Acrylique sur toile libre, 251 cm × 258 cm
    inv. 2007.15.2
    Musée Fabre
  • Du sang sur le monde
    André-Pierre Arnal
    Du sang sur le monde, 2006
    Collage sur cartes routières et sur toile, 280 cm × 280 cm
    Collection de l’artiste

« Je travaille dans l’urgence, l’angoisse et la jubilation, entre la conscience du temps perdu et le sentiment désespérant que le temps est à l’œuvre. Dans une certaine fièvre et un tremblement certain, une espèce particulière de trac et de culpabilité anticipée du ratage technique, les choses avancent, les choses se produisent, presque d’elles-mêmes, avec un minimum d’intervention manuelle, mais un contrôle intellectuel de tous les paramètres, y compris et surtout des paramètres aléatoires. »

André-Pierre Arnal, entretien avec Maud Marron-Wojewodzki, août 2020