Les 50 jours du siège

Nous voicy donc dans le siège qui peut estre conté dès le 30^e d’aoust parce que ce jour-là M. de Rohan estant parti pour s’en retourner à Nismes aveq ceux qui l’avoient accompagné en venant, les troupes du Roy qui estoient toutes du costé de La Vérune se vindrent loger plus près à Castelnau.

Avant son despart, ledit seigneur de Rohan assembla le peuple au Temple, recommanda encore un coup aux habitants et gens de guerre l’obéissance envers M. de Calonges et envers lesdits consuls ; les assura qu’il ne les abandonneroit jamais et qu’au besoin ils les assisteroit de son secours.

L’après-midi, Sa Majesté faisant le tour de la ville faillit à estre tué d’un coup de canon. C’eust esté un malheur extrême et une très grande affliction à ceux de dedans qui ne recognoissoient pas de loin que le Roy fust dans ceste troupe. Mais defent que ceux qui approchent de Sa Majesté empeschent qu’elle n’expose point sa personne sacrée à tant de périls.

Extrait du Journal du Siège, Médiathèque centrale Emile Zola, ms. 79, fol. 11

Le second du mois de septembre environ deux heures devant le jour, les ennemis gagnèrent une barricade que nous avions commencé de faire par-delà le bastion de St Denis au bord du costeau. Mais cet advantage dura fort peu aux ennemis, et l’on causa un malheur et perte très remarquable.

M. de Calonges partit aveq une troupe de cavallerie d’environ 25 ou 30 maistres qu’ayant fait un tour sur la main droite pour cerner les ennemis, fit sonner à la charge par deux trompettes qu’estoient devant le canon de la ville. On charge furieusement les assiegeants qui soutindrent le premier choc avec assez de vigueur, mais se voyant battus de tous costés et craignant la cavallerie qui alloit fondre sur eux, ils tournent le dos et fuyent en désordre le long de ceste pente, traversant le ruisseau du Merdanson et couvrent toute la plaine de fuyards.

M. de Montmorency ne sçachant ce que c’estoit, y accourt en pourpoint sur une hacquenée et s’engage l’avant dans les gens de cheval et de pied sortir de la ville qu’il croyoit estre des siens, que sans la courtoisie de quelques gentilshommes et capitaines qui taschoient de le garantir, il auroit esté tué. Encore aveq cela il reçut deux coups de pique dont il demeura blessé et plusieurs des siens tuez sur la place. Mais on ne peut lui oster la gloire d’avoir très bien faict en ceste action, ayant tué de sa main un gendarme de la ville nommé Tallan et tesmoigné un courage invincible au plus fort de ce grand danger. Enfin la victoire demeura aux assiégés ; ils regagnent leur redoute, despouillent les morts et ruynent tout le travail. Le nombre des morts des ennemis fut de plus de quatre-vingt la plupart de gens de qualité !

Extrait du Journal du Siège, Médiathèque centrale Emile Zola, ms. 79, fol. 13-15

Le 3^e septembre sur le matin, il y eut un combat vers le Peyrou mais l’après-dinée les assiégés firent quitter la tranchée des Carmes aux ennemis et les poursuivirent l’espée au poing jusques à la Font Putanelle ou le combat fut long et grand, car ceux qu’on avoit chassez ayant esté secourus, le sieur de St Cosme partit de son quartier aveq une troupe pour soustenir les siens qui estoient engagez au combat et après une escarmouche d’environ deux heures se retira avec perte d’environ 18 soldats morts ou blessés entre lesquels estoit un fils du capitaine Turc blessé d’une mousquetade. L’ennemi y perdit près de cent hommes sans compter ceux que le canon du Peyrou tua, qui tira 7 ou 8 coups sur eux heureusement tousjour et avec rencontre.

Extrait du Journal du Siège, Médiathèque centrale Emile Zola, ms. 79, fol. 16

Le mardy 6 septembre on apperceut le matin que les assiégeants avoient dressé une gabionade vis-à-vis la redoute du bastion de Calonges et fort avancé le travail de leurs tranchées. On les incommoda à coups de canon tirés du bastion de Saint Denis. Et la nuit suivante, le capitaine Soubeiran, lieutenant du sieur de Lausselergue, alla donner l’alarme aux ennemis, entra dans leurs tranchées, jeta parmy eux des grenades qui en tuèrent quelques-uns et leur fit quitter le travail qu’ils faisoient aux Carmes. Mais il fut contraint de se retirer après avoir prins les armes et les instrumens des soldats qui avoient fuy et qui furent soustenus par un régiment qui venoit à leur secours le long de la tranchée du Merdanson.

Extrait du Journal du Siège, Médiathèque centrale Emile Zola, ms. 79, fol. 17

Le mardy 13 septembre, les assiégeans ayant au point du jour recommencé leur batterie de 3 canons de Boutonet, environ les 7 heures ils firent voir une autre batterie de 4 canons qui tiroient des retranchements faits dans la vigne contre la redoute du bastion de Calonges, et après les quatre premiers coups de canon, ils sortirent de leur plus proche retranchement et se mirent en debvoir de donner, ayant tiré plusieurs mousquetades. Mais ceux de dedans sans s’esfrayer et sans désordre, les attendoient de pied ferme, tellement qu’ayant su leur résolution, ils n’osèrent approcher. Leur canon tira tout le jour pour ruyner la redoute, mais en vain car ceux de dedans remuoient plus de terre que le canon et la rendirent le soir plus forte qu’elle n’estoit au matin. Il y eut ce jour-là 250 coups de canon tirez des deux batteries en divers endroits sans perte, Dieu merci, que de deux soldats et une femme tuée au travail.

Extrait du Journal du Siège, Médiathèque centrale Emile Zola, ms. 79, fol. 20

Le mardy 20^e, la batterie se trouva de 22 canons : 6 à la batterie de M. de Montmorency qui batoient l’espaule du bastion des Tuileries, et 16 à la grande batterie du Roy qui tirèrent tout le jour contre la demy-lune, le bastion de Calonges, les contrescarpes et les corps de garde de la Blanquerie. Il fut tiré ce jour-là 1101 coups de canon qui tuèrent ou blessèrent cinq ou six personnes seulement. Ceux de la ville se préparèrent pour soustenir un assaut. Toute la nuit aussy on fut en alarmes, mais l’ennemy ne fit point semblant de donner.

Extrait du Journal du Siège, Médiathèque centrale Emile Zola, ms. 79, fol. 23

Le dimanche 2^e d’octobre, les ennemis eurent encore advancé leur travail et conduit leurs tranchées vis-à-vis du bastion des Tuileries et la demy-lune toute environnée de tranchées, gabions et de tonneaux, on tira fort tout le jour et plus rudement qu’on n’avoit encore fait.

Vers les quatre ou cinq heures du soir, les ennemys ayant déchargé 27 coups de canon qui estoit toute leur batterie, ils firent une fausse avancée et puis on vit jouer deux mines à la demy-lune entre le bastion de Calonges et le bastion des Tuileries lesquelles se renverserent en partie sur eux.

Aussitost on vint à l’assaut, mais bien attaqué même défendu, ils montèrent par trois fois et par trois fois furent repoussez et renversez. Là-dessus, les assiégés sautent de la demy-lune dans leurs tranchées, chassant les ennemis de leurs premiers retranchemens et les vont tuer jusques à la bouche des canons où ils s’alloient jeter en asile.

Ceux qui estoient dans les tranchées vis-à-vis du bastion de Calonges, voyant les autres en fuite, deslogèrent pareillement. Le sieur de Lausselergue sortit du bastion et donna sur eux ; le désordre estoit général, et si la nuict n’eust séparé, on pouvoit suivre la victoire plus avant.

Dans ce combat, les assiégés perdirent dix soldats sur la place et une vingtaine de blessez en tout. Mais des ennemis, le nombre de morts ou de blessés fut grand ; on faisoit estat qu’il y eut de morts 3 ou 400 sur la place.

Extrait du Journal du Siège, Médiathèque centrale Emile Zola, ms. 79, fol. 27

Le mardy 4^e octobre ceux de la ville firent travailler aux contre mines dans la demy-lune et au bastion des Tuileries. Les ennemis firent toute leur batterie contre la tour des Carmes à laquelle ils firent une grande brèche, mais quoiqu’ils y eussent tiré plus de 1200 coups de canon, il en falloit encore autant pour la mettre par terre.

Le soir environ les deux heures de nuit, les assiégés allerent attaquer ceux qui estoient dans les tranchées au-dessus du fossé des bastions des Tuileries. Cependant on mit le feu aux gabions et tonneaux des tranchées plus advancées, où ils avoient desja faict des embrasures pour loger le canon. L’embrasement fut grand et dura environ d’une heure.

Extrait du Journal du Siège, Médiathèque centrale Emile Zola, ms. 79, fol. 29

Le vendredy 7 octobre, il ne se tira point pourtant de canon sinon douze coups sur le soir après le soleil couché. Les troupes de M. le connestable qu’on avoit veu le jour précédent en bataille dans la plaine par-delà Castelnau passèrent la rivière et faisant le tour vers le mas de Farges et Saint Martin de Prunet, se logèrent au mas de Burgues et de Catalan.

On apprit que monseigneur le connestable avoit envoyé sept régiments, qu’il avoit faict ceste levée avec peine, ayant contraint les communautés et les familles de fournir pour la milice, qu’il y en avoit plusieurs de la Religion et que desjà ils commençoient à se desbander.

Extrait du Journal du Siège, Médiathèque centrale Emile Zola, ms. 79, fol. 30-31

Le lundi 10^e sur le soir à huit heures, M. de Rohan arriva accompagné de dix à douze gentilshommes. M. le mareschal de Créquy l’avoit conduit jusques à une mousquetade de la ville. On sçut en termes généraux qu’il venoit pour la paix et qu’il avoit convenu des articles et conditions d’icelle.

Le mardi 11^e tout le jour fust employé dans la ville au conseil pour apprendre et concerter les articles et conditions de paix que monseigneur de Rohan portoit. Il avoit promis au Roy l’entrée dans la ville qui estoit un point sur lequel furent excitez de grands murmures pour les appréhensions qu’on avoit des changemens dans la ville.

Extrait du Journal du Siège, Médiathèque centrale Emile Zola, ms. 79, fol. 32

Le mercredy 19^e octobre, messieurs de Calonges, des Isles, Dupuy et Ducros qui avoient esté envoyez à la première conférence de Maltaverne pour demander la paix à Sa Majesté, furent au quartier du Roy accompagnez des sieurs de Gasques et Chanville pour au nom des Eglises réformées de France et souveraineté de Béarn supplier encore Sa Majesté de donner la paix à son peuple. M. de Calonges fit la harangue.

L’après-midi M. le grand Prévost entra et fit publier la paix. Après entra le regiment des gardes et les suisses, puis vint M. le connestable accompagné de quelques seigneurs.

Extrait du Journal du Siège, Médiathèque centrale Emile Zola, ms. 79, fol. 33

Le jeudy 20^e octobre, le Roy aveq sa cour entra dans la ville accompagné de sa compagnie de chevaux legers et de gendarmes. On n’eut pas moyen de luy preparer une entrée honorable, mais Sa Majesté pouvoit juger par les bénédictions et les cris de liesse qu’il entendoit de toutes parts en entrant et par le contentement et le respect qu’il voyoit aux visages des habitans, les vœux de leur fidelité et l’obeissance qu’ils doibvent à son service. Sa Majesté séjourna dans la ville jusques au jeudy de la semaine suivante.

Extrait du Journal du Siège, Médiathèque centrale Emile Zola, ms. 79, fol. 33-34